Le vrai test de la reprise touristique proclamée à la fin de l’été a lieu maintenant.
Une reprise du tourisme fragile à la fin de l’été
En effet, comme le disait L’Économiste a la fin du mois d’août :
Les trois quarts des arrivées de touristes au Maroc proviennent des Marocains Résidents à l’Étranger.
En réalité, comparé à la période pré-covid, le nombre d’arrivées et de nuitées est toujours largement inférieur, les arrivées ne représentent que 70% des arrivées de 2019 : 92% des arrivées de 2019 pour les MRE et 56% des arrivées de 2019 pour les touristes étrangers.
Ces chiffres sont difficiles à interpréter, étant donné que l’année n’est pas complète : réouverture des frontières début février 2022, reprise des liaisons maritimes à la mi-avril. (La fermeture ayant eu lieu le 13 mars 2020).
Si les recettes touristiques représentent 90% des recettes de 2019, ce n’est pas obligatoirement une bonne nouvelle : cela veut dire que beaucoup moins de touristes ont dépensés presque autant, autrement dit que la destination Maroc est devenue beaucoup plus chère.
Vacances d’été et vacances d’hiver
Ces vacances d’été ont donc été boostées par les MRE, consacrées à des longs séjours, visites de la famille et expérience « au bled » des grandes fêtes (cette année, Ramadan au mois de mai, l’Aïd début juillet).
Mais ce n’est pas la clientèle des vacances d’hiver. Celle-ci est principalement étrangère.
Après les deux mois d’été, la majorité des entrées sont celles des « vrais étrangers », dont les comportements et les destinations ne sont pas les mêmes que celles des MRE.
Or, sans eux, il est impossible d’atteindre les objectifs plus qu’ambitieux de 26 millions de touristes à l’horizon 2030.
Les chiffres de la fin de l’année permettront donc de savoir si la reprise du tourisme étranger est réellement importante, ou si elle n’a été qu’un effet de rattrapage des MRE impatients de retrouver leur famille.
Séjours d’hiver : des destinations et des comportements différents
Le séjour d’hiver typique au Maroc, c’est Agadir ou Marrakech, un week-end (généralement avec un pont) ou une semaine, la recherche du soleil avant tout, pour casser le blues de l’hiver.

Le tourisme rural, on oublie, le trek dans des montagnes froides aussi, comme les séjours dans des villes comme Essaouira ou Tanger, dont la météo peut être très pluvieuse, ou le tourisme culturel. Et c’est normal… moi qui ait vécu quelques années à Ouarzazate, on a très froid dès le soleil couché. Comme le disait Lyautey, le Maroc est un pays froid où le soleil est chaud…
Le week-end prolongé, cela veut aussi dire oublier le grand sud ou mème les régions de Merzouga et M’hamid, trop loin de Marrakech. Qui a envie de faire seize heures de route sur un week-end de trois jours ?
En 2022, des pertes importantes sur les marchés traditionnels
En 2019, les cinq premiers pays clients représentaient 60% des arrivées de touristes. Sur des chiffres provisoires, le taux de récupération de ces cinq pays ne représente que 46%, soit 11 points de moins que le taux de récupération global de 57%.
En termes plus clairs, non seulement le Maroc ne retrouve pas ses touristes, mais il perd proportionnellement encore plus chez ses clients traditionnels.

Source : chiffres clés du Ministère du Tourisme et O-Maroc
Comment expliquer ce recul, beaucoup plus important que pour d’autres pays touristiques comparables, comme la Turquie ?
Des clients traditionnels frappés par la crise
C’est un euphémisme de dire que le climat est morose en Europe. La France voit ses prix de l’électricité exploser, en particulier pour les professionnels, confrontés dès janvier à des factures quatre fois plus importantes, qu’ils ne peuvent pas répercuter sur leurs clients et connait une inflation importante, sans que le chômage recule. Les retraités, un segment de clientèle important, partiront en retraite de plus en plus tard avec des retraites qui ne rattrapent pas l’inflation.
L’Allemagne n’est pas dans une meilleure situation, loin de là, et pratique une politique d’austérité pour contrer l’inflation. Quand à l’Angleterre, elle continue à ne pas arriver à amortir les effets du Brexit.
Bref, dans une ambiance morose, les dépenses touristiques ne sont pas indispensables, et le Maroc ne remplacera pas les vacances au ski où la neige est de plus en plus absente.
Des problèmes spécifiques au Maroc
Ça on vous en a déjà parlé longuement, mais il faut le rappeler, pour comprendre ce qui se passe.
L’impact de l’infrastructure et le mauvais rapport qualité-prix par rapport à d’autres destinations est préoccupant. La crise de ces deux dernières années l’a d’ailleurs augmenté : de nombreux établissements ont dû fermer ou faire l’impasse sur les budgets entretien-maintenance.
Pire, ils essaient aujourd’hui de rattraper leurs pertes avec des prix élevés. Comme pour l’immobilier, on a tendance à mettre en vente au prix dont ont a besoin, pas au prix acceptable par le client.
Pour prendre un exemple concret, pour un week-end à Agadir au domaine Villate Limoune, on trouve chez un opérateur comme Voyage Privé, qui propose de nombreux voyages au Maroc, une offre vol inclus + accès gratuit au zoo d’Agadir pour 137 € (1.500 dirhams) par personne, tandis que la simple chambre double, sans vol est à 2.250 dirhams sur Booking et entre 1.700 et 2.300 dirhams sur le site de l’hôtel.
Les touristes sont nombreux à exprimer leur déception sur les forums de voyage.
Les « risques externes » se matérialisent
En 2020, j’en citais trois, deux se sont matérialisés : l’impact du réchauffement climatique, avec un été extrêmement chaud, et l’impact de la crise économique, que je viens de vous détailler et qui risque de s’accroître. Avec l’embargo sur le pétrole russe et le « manque de souplesse » de l’OPEP, il est clair que le prix des billets d’avion risque d’augmenter fortement.
Et la coupe du Monde ?
On ne va pas bouder son plaisir de voir le Maroc en demie finale à l’heure où j’écris cet article (et j’espère en finale…) mais cet événement déplacé à la fin de l’automne va encore ponctionner les budgets « voyage d’hiver ». Pour les fans de foot qui ont pu aller au Quatar voir les matchs, c’est sans doute la totalité de leur budget petites vacances qui y passe.

Cela veut dire, simplement, qu’entre la réouverture des frontières au printemps, les impacts de la guerre en Ukraine le foot, l’année 2022 ne sera certainement pas une année typique. Néanmoins, on pourra dégager des tendances, en espérant que 2023 sera meilleur.
Sauver les soldats Marrakech et Agadir, et le reste du pays
L’état marocain a beaucoup donné pour soutenir le tourisme. Les subventions aux entreprises de transport, la prise en charge partielle des salaires ont été des mesures d’urgences.
Un investissement hôtelier régionalisé
Mais ce soutien s’est limité aux dépenses de fonctionnement, alors que, même avant le Covid, il était crucial d’investir dans la capacité hôtelière. Pour l’instant aucun programme national n’est prévu.
De gros programmes d’investissement sont prévus au niveau régional, dans les régions du Sous-Massa, en particulier autour d’Agadir, et Marrakech qui veut créer 35.000 lits supplémentaires.
Ailleurs, les quelques annonces d’ouverture d’hôtels haut de gamme ne doivent pas masquer la réalité : des régions déjà pauvres (comme la province de Ouarzazate), qui souffrent du manque de dessertes directes, n’ont pas les moyens d’investir de la même façon et risquent de tomber dans un cercle vicieux, manque d’offre, manque de clients, manque de moyens, manque d’investissement… et manque d’offre.
Le tourisme est-il encore une priorité pour l’état marocain ?
Soyons honnêtes, il me semble que non.
Aujourd’hui on parle d’abord d’énergie verte, de souveraineté alimentaire, d’agriculture durable. Certes, il y a ce plan de 26 millions de touristes pour 2030 que je qualifierais de « Inch Allah », tant que les investissements nécessaires ne seront pas enclenchés.
Vivre et travailler dans le tourisme au Maroc ?
Pour votre projet professionnel, tout dépend si vous devez investir ou pas.
On recherche régulièrement des professionnels qualifiés, en particulier pour le commercial, la gérance d’établissements et la restauration. J’insiste sur le « qualifié ».
Attention aux locations-gérances mal bouclées juridiquement, à l’absence de contrat de travail ou aux contrats de prestations de service, en particulier en tant qu’autoentrepreneur. Mais il y a de la demande, en particulier si vous maîtrisez l’anglais ou d’autres langues moins courantes au Maroc (allemand, chinois, etc).
Investir demande beaucoup de précautions. Les prix ont commencé à baisser, certes, mais je crois que cela n’est pas fini. Plus encore qu’avant, votre investissement doit être prévu à moyen/long terme.

A long terme, faites attention à tout ce qui tourne autour de la « collapsologie« , surtout si vous n’êtes pas en ville. J’ai vu des annonces de ventes de bien « collapsologie ready » en France…
L’eau est élément critique.
L’évolution des températures aussi.
Si vous êtes en bord de mer, renseignez vous sur les projections qui existent, à côté des falaises de Safi, il y a des endroits comme la côte d'El Jadida, dont le « bord de mer » est quasiment en dessous du niveau de la mer…
Vendre des pelles plutôt que chercher de l’or
Enfin, vos compétences peuvent être utilisées de façon plus profitable. Acheter une maison où vous pouvez vivre agréablement sans avoir besoin de la rentabiliser par de la location touristique et, à côté, monter une école professionnelle dédiée au tourisme est une bonne idée. Et là, vous pourrez bénéficier d'aides d'état.

Des analyses et des chiffres sur le tourisme marocain
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- Des analyses chiffrées qui différencient entre MRE et "vrais touristes étrangers" >
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