C’est une des choses qui m’a frappée au Maroc, un sens du partage et de la charité que nous avons perdu. On parle souvent de l’hospitalité et de la générosité des Marocains, c’est vrai, c’est un trait culturel qui vient de l’Islam et que nos civilisations « chrétiennes » ont un peu (beaucoup) oublié.
La première fois que je l’ai remarqué, c’était dans mes toutes premières années au Maroc, nous étions dans le grand marché de Rissani, un vendredi. Et je voyais des femmes dont les grands voiles noirs cachaient mal la maigreur, aller d’une boutique à l’autre, entrer et ressortir rapidement pour faire toute une tournée. A chaque femme, sans même un échange, le marchand plongeait la main dans une boite qui contenait des dizaines de pièces d’un dirham, et lui donnait. La femme murmurait quelques mots de reconnaissance.
Ce ballet bien réglé était mon premier contact avec la sadaqa ( صدقة ), la charité, particulièrement demandée le vendredi.
Il y a deux « charités » en Islam : la sadaqa et la zakat ( زَكَاة ). La première est un don volontaire, qui se fait « au fil de l’eau », sans montant obligatoire, la seconde est réglementée par le Coran, autant pour son montant que pour le moment où il faut la donner, et c’est le troisième des cinq piliers de l’Islam.
La zakat
Zakat se traduit par « aumone légale » ce qui montre son caractère obligatoire. L’Islam en connait deux : la Zakat Al Maal, sur l’accumulation de richesse, et la Zakat Al Fitr, quelques jours avant l'Aïd, pour permettre aux pauvres de manger à la sortie du jeune de Ramadan.
Zakat al Fitr
Son montant est assez faible. Il correspond à une « mesure » (Sâ, environ 2,5 kilos pour les Oulémas marocains) de la nourriture traditionnelle du pays.

Au Maroc, sa valeur est fixée chaque année par le Conseil des Oulémas. (Alors que, normalement, pour les Malékites, la zakat devrait être versée en nature et pas en espèce). En 2025, elle est de 23 dirhams par personne « à charge alimentaire ». Ainsi, un père de famille qui a une épouse, sa mère, trois enfants dans son foyer et deux enfants dont il paye les études doit payer en tout 8 * 23 dirhams : 184 dirhams. Elle doit être versée avant la prière de l’Aïd El Fitr, et à partir du 27° jour de Ramadan.
Zakat et Zakat al Maal
La zakat al maal est une sorte d’impôt sur le patrimoine, ou plutôt sur son accroissement. Je dis bien une « sorte » car c’est une obligation religieuse, sans contrôleur ni collecteur officiel. A charge de chaque musulman de faire le calcul du montant qu’il doit payer, et de le payer.
Les bases de la Zakat al Maal
Si l’idée de départ est simple « tout accroissement de l’épargne [au sens large] au dessus du nisab » le calcul est plus compliqué.
Les biens dont l’accroissement peut donner lieu à la zakat sont :
Les avoirs, les biens, la fortune, qu’elle soit en espèces, en métaux précieux, dépôts, titres bancaires, comptes chèques, actions, etc. pour lesquels on emploie spécifiquement le terme de zakat al maal (zakat de l’argent) ;
En sont exclus les terrains et immeubles qui ne sont pas destinés à la vente, les biens personnels (mmobilier, vêtement, voitures, … ), les biens hypothéqués et les bijoux (sauf ceux en or et en argent).

Donc dépenser son épargne dans des biens luxueux permet de soustraire une partie de sa richesse à la zakat. Et donner des bijoux à sa femme permet de diminuer sa richesse et d’augmenter la sienne… donc de déplacer une partie du paiement de la zakat.
A noter qu’il y a aussi une zakat sur les produits agricoles et l’élevage. (Dans les sociétés agricoles, on peut être pauvre en monnaie et riche en bétail ou en plantes.)
Donc le seuil pour les animaux est :
- Bovins : 30 animaux
- Ovins et caprins : 40 animaux
- Chameaux : 5 animaux

Pour les produits agricoles, on considère les dattes, les raisins, le blé et l’orge ainsi que des produits de base qui peuvent être stockés, telles que le maïs, le riz, les lentilles, les pois secs et les haricots secs. Le nisab pour ces produits agricoles est de 603 kilos.
Le nisab ou nissab (نِصاب )

Le nisab a évolué au cours de l’histoire. En effet, à l’origine, le nisab représentait 20 dinars (pièces d’or de 4,25 grammes) ou 200 dirhams (pas nos dirhams marocains, mais des pièces d’argent de 2,975 grammes). Le taux de change or / argent a évolué, mais, fidèle aux bases coraniques, la charia accepte le paiement de la zakat par rapport au nisab d’or ou au nisab d’argent, au choix du fidèle.

Mais pour simplifier, des savants recommandent d’utiliser comme référence le poids d’or pur correspondant à une pièce de 20 dinars.
Même s’il y a un cours international de l’or, la valeur du nissab se détermine encore par pays.
Au Maroc, c’est le conseil des Oulémas qui est censé le faire. D’ailleurs le calculateur de zakat de la banque Assafa, une banque islamique, renvoie tout simplement au conseil régional des Oulémas. Mais en dehors d’une communication sur le montant de la Zakat Al Fitr, je n’ai rien trouvé de récent sur ce sujet !
Au moment où je rédige cet article, le 19 juillet 2025, un gramme d’or pur vaut 92,62 € et le taux de change « Bank Al Maghrib » est de 10,5047 dirhams pour 1 €. Le nissab serait donc de 82.700 dirhams. Par rapport aux valeurs données il y a quelques années, le nissab a quasiment doublé, du fait de la crise internationale.
Paradoxe d’une crise qui fait plus de réfugiés et de malheureux, et moins de personnes soumises à la zakat !
Comment payer sa zakat ?
A partir du moment où l’épargne sur une année complète dépasse 85 grammes d’or ou 595 grammes d’argent.
Le montant de la zakat est alors de 2,5% de cette épargne.
A qui donner la zakat ?
Les gens qui reçoivent la zakat sont les pauvres, les gestionnaires de la zakat, les nouveaux convertis, des esclaves qu’on affranchit (plus tellement d’actualité), les endettés, pour leur permettre de payer leur dette et de ne pas mourir en devant de l’argent, ce qui leur fermerait les portes du Paradis, ceux qui font oeuvre pour le bien public et les voyageurs.
Dans cette liste, on est parfaitement libre de payer la zakat à qui on veut : proches dans le besoin, habous, associations, investissement dans des projets « sociaux » (construire une école, une mosquée, un hôpital, etc.)

Au Maroc, il est fréquent d’aller dans une hanout et de demander au commerçant s’il y a des gens avec un « carnet » à régler, pour le faire à leur place. Dans les pays non musulmans, souvent les fidèles versent leur zakat à des ONG musulmanes comme Human Appeal ou autres.
La sadaqa
Le mot sadaqa désigne donc un don volontaire. Comme le mot hébreu « tsadaka » il implique l’idée de justice ou de droiture, d’honnêteté, de sincérité (et c’est le sens qu’on retrouve dans le prénom Sedik, qui a la même racine, tous ces mots étant issus de sidq ( صدق ), sincérité).
Comment passe-t-on de la justice à la charité ? Parce que donner aux pauvres c’est participer à la justice du monde en leur abandonnant une partie de ce qu’Allah a donné au croyant et en rétablissant l’équité sociale. Parce que ce don se fait avec sincérité, sans autre objectif que plaire à Allah, sans en attendre aucun autre bénéfice en retour.
Quand le don fait à la communauté (un puits, une école, etc) continuera à porter ses fruits après la mort du donateur, on parle de sadaqa jariya ( صدقة جارية ) ou aumône continue.
C’est aussi un terme utilisé pour le don fait par le mari, dans le contrat de mariage. Bien que le véritable terme soir mahr, on utilise sadaq pour marquer la volonté sincère du fiancé de s’unir à sa future femme.
La façon de faire la sadaqa est beaucoup plus large que pour la zakat. Un sourire, une visite à un voisin ou à un malade peuvent être une sadaqa. Le père d’une de mes amies avait l’habitude d’acheter des oiseaux en cage pour les libérer (même s’ils ne pouvaient sans doute pas survivre bien longtemps…) Les nombreux gardiens qui nourrissent les chats, leur donnent à boire, font aussi une sadaqa.
En pratique, en tout cas au Maroc, les deux termes sont employés presque indifféremment dans la vie quotidienne.
L’importance de la zakat et de la sadaqa se retrouve dans les très nombreux versets du Coran qui y font référence, soit pour en préciser le calcul, soit simplement pour inciter les musulmans à être généreux !
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