… ou même un peu plus tard.
J’aime énormément la diplomatie marocaine. Si je voulais tomber dans le cliché, je dirais que le Maroc déploie une finesse toute orientale dans sa façon de faire, un art de la manipulation dans les coulisses tout à son honneur – et beaucoup plus efficace que les rodomontades de nombreux dirigeants occidentaux, à commencer par Donald Trump, notre ex-président Nicolas Sarkozy et l’actuel.
Pour l’instant, le Maroc, j’en suis persuadée, ne veut pas rouvrir ses frontières autrement qu’au compte-gouttes. Le premier signal avait été la communication sur l’opération Marhaba de cette année, qui serait organisée « autrement » (Marhaba, c’est la gestion de la déferlante touristique MRE de l’été).
Les risques liés à la ré-ouverture des frontières
Le Maroc a à peu près réussi à circonscrire correctement l’épidémie, ce qui est un exploit quand on voit ce qui s’est passé chez les voisins.
Les gens se comportent comme si le virus avait disparu mais les contaminations continuent
Partout, absolument partout, que ce soit chez nous ou en Europe, la levée du confinement a donné lieu à une explosion des pratiques à risques. C’est « fini », donc on ne porte plus le masque, on s’agglutine dans des soirées, etc. A tel point qu’on commence à craindre une reprise du confinement (à laquelle je ne crois pas). Autour de moi, en quelques jours, les restaurants ont levé le pied sur les mesures sanitaires, les petits restaurants ne respectent pas les distances (comment pourraient-ils quand leur salle contient à peine trois tables), quant aux magasins et supermarchés… n’en parlons pas.
Chaque jour, de nouveaux « clusters » se révèlent, que ce soit au Maroc avec les ouvrières de Kenitra, en France, en Allemagne (sans parler des pays devenus parias, comme les États-Unis ou le Brésil).
Et chaque pays qui a rapatrié ses ressortissants a connu de nouvelles contaminations.
Le rapatriement des marocains coincés à l’étranger à tout juste commencé
Avec un protocole strict, un test à l’arrivée, une « quarantaine » de neuf jours, et un autre test à la sortie. On ne sait pas encore ce que cela donne, si tous ces retours sont tous en bonne santé ou pas, il faut attendre un peu.
Un protocole impossible à appliquer à des touristes
Parce que si on vient passer deux semaines de vacances au Maroc et que plus de la moitié est passée en isolement, que reste-t-il ? De plus, les tests coûtent cher, et même si on en fait supporter le coût aux touristes, il faut en avoir assez en stock.
Sur la durée, le taux de nouveau cas quotidien est un indicateur essentiel
C’est celui qui a été choisi par l’Europe pour décider de la réouverture de principe des frontières avec un pays ou pas. La bonne gestion actuelle a permis au Maroc d’être inscrit sur cette liste au niveau européen, chaque pays étant libre de faire ce qu’il veut ensuite. Mais, par contre, s’il n’est pas inscrit, il peut être certain que les frontières européennes seront fermées.
Les avantages ?
A part les rentrées de devise liées au tourisme, aujourd’hui, aucun. Le business continue, les importations et les exportations n’ont jamais cessé, la video-conférence permet la prestation de service à distance, les call-centers n’ont jamais autant travaillé.
Et ces rentrées touristiques seront faibles. Je comprends parfaitement les professionnels du tourisme qui s’inquiètent. Je les comprends moins quand ils expliquent qu’on devrait leur laisser ouvrir les restaurants jusqu’à deux heures du matin, parce qu’il y a des gens sans masque dans la rue (l’argument étant que c’est moins risqué).
Mais il ne faut pas rêver, la majorité des « touristes » qui ont envie de venir au Maroc sont des MRE, c’est-à-dire justement ceux qui font le moins bien marcher l’économie du tourisme. D’après ce que je vois autour de moi, sur Facebook et sur les réseaux sociaux, les gens qui n’ont pas d’attaches personnelles au Maroc ont peur de se faire coincer à nouveau, et préfèrent rester dans un espace géographique « sûr ».
Donc, pour résumer, la manne touristique ne tombera pas cet été. Qu’on ouvre les frontières ou pas.
Comment gérer la transhumance de l’Aïd ?
La grande migration de l’Aïd El Kebir, c’est une semaine en général. Tout le Maroc parcourt le Maroc dans tous les sens, plutôt des grandes villes (les zones les plus à risque) vers le bled (les zones les plus épargnées), et puis revient.
Avec des voyages par tous les moyens, y compris en bus et en grands taxis où, croyez-moi, les Marocains à branchies (ceux qui portent la bavette sur le menton puisque c’est par là qu’ils respirent) vont se multiplier.
Et la distanciation sociale, au bled, tu oublies ! On mange tous dans le même plat, on boit dans le même verre, on embrasse la main des parents et on ne leur fait aucune remarque sur la bavette ou le lavage des mains, on les respecte trop pour ça… C’est juste totalement impossible. Et puis il y a la grande prière de l’Aïd, tout le monde collé-serré.

Pour mémoire, le premier « cluster » en France était lié à un rassemblement religieux…
Donc, en gros, tu as réussi à calmer l’épidémie en enfermant tout le monde chez soi, et tu lâches la population pour un grand mélange. En serrant les fesses pour que le virus ne fasse pas l’Aïd lui aussi !
La solution ? L’ouverture quantique des frontières
En mode chat de Schrödinger (celui qui est là et pas là à la fois, un chat normal, en gros).
On dit qu’on ouvre, parce qu’on ne peut pas faire autrement.
Mais on n’ouvre pas à certains pays, et pas tout de suite. Et on ouvre seulement via Gibraltar, en remerciant bien l’Espagne et en lui disant, discrètement, de renvoyer où elle veut les quarante couillons qui se sont précipités trop tôt. Et cela au moment même où Ceuta en a assez de payer pour les Marocains bloqués chez elle (400.000 euros, quand même, depuis le début de la crise) et voudrait donc bien les voir ailleurs.
On dit qu’on va rouvrir le trafic aérien, mais chouïa chouïa, sans trop dire à quelle date, 10 juillet, 11 juillet, 15 juillet, et puis pas toutes les lignes, pas tous les vols.
Tous les « bien autorisés » qui sont dans la confidence parce que la petite-fille de la grand-tante de leur professeur de lycée a une amie qui est mariée à un retraité de la DGAC et qui affirment chaque jour que les vols vont rouvrir à telle ou telle date sont obligés de décaler leurs prévisions, comme une astrologue décatie sur le retour.
Beaucoup de ceux qui achètent des billets d’avions sans attendre l’annonce officielle de la réouverture reçoivent des mails « oui pour des raisons techniques, votre vol a été annulé et il est remboursé ».
La fermeture de Ceuta et Mellila jusqu’au 31 juillet veut dire qu’on ne pourra venir au Maroc que :
- par bateau,
via Gibraltar / Algésirasvia Sète et Gênes, avec un protocole strict de contrôle - par avion, ce qui a un coût « certain » pour les familles nombreuses.
On ne ferme pas, mais on rétrécit le goulot d’étranglement.
Sans rien dire de précis, comme ça les gens restent dans l’attente, achètent-achètent pas et ont moins de chances de trouver un billet dans leurs moyens quand « l’annonce que tout le monde attend » va arriver.
Ils sont forts ! C’est un peu comme l’Arabie Saoudite qui a réussi à ne pas annuler le pèlerinage tout en fermant ses frontières.
Cette fois-ci, on sait : les frontières peuvent se fermer, l’épidémie peut repartir.
N’achetez pas de billets avant d’être certains que les frontières sont ouvertes, ne voyagez pas trop, ce n’est pas fini.
PS : je peux être un peu ironique dans ma façon d’écrire, mais ne vous y trompez pas : je suis sincèrement impressionnée par le gouvernement marocain et sa façon d’arriver à gérer ce problème.
Le Maroc n’ouvre pas ses frontières
La mesure permettant aux résidents étrangers et aux Marocains bloqués à l’extérieur de leur pays de résidence n’est pas une « ouverture » mais une « opération exceptionnelle ».
Il n’y aura donc pas de véritable ouverture des frontières avant l’Aïd, les MRE qui se trouvent dans leur pays de résidence ne peuvent pas rentrer pour l’Aïd.
Tanger reconfinée
Aujourd’hui 13 juillet, le territoire de la ville de Tanger a été reconfiné, et toute la ville est placée en quarantaine.
Soit deux jours avant le début des opérations « ferry » et donc de l’arrivée des MRE.
Il ne reste plus que l’avion pour revenir au Maroc.
En savoir plus
- Sebta et Melilla resteront fermées pour le Maroc jusqu'au 31 juillet
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- Enquête exclusive : 54% des MRE ont l’intention de rentrer au Maroc cet été
- ... au lieu de 80%. En clair, 21% des MRE ont peur de voyager au Maroc, ou pas les moyens de le faire.
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Un commentaire
Merci pour l’article.
Bonne analyse de situation.
Le ministre des affaires étrangères s’expliquera demain du Lundi-6-Juillet au parlement sur ce sujet.
A suivre.