Il n’y a que deux fêtes en islam, celle du sacrifice l’Aïd al Adha ou Aïd el Kebir (la grande fête) et la fête qui met fin à Ramadan, l’Aïd el Fitr (la petite fête).
Déjà privés d’Aïd el Fitr, où le pays était encore confiné et les mosquées fermées, privés de pèlerinage (non pas « annulé » mais « réservé à quelques personnes déjà sur place ») les Marocains vont-ils aussi être privés d’Aïd al Adha ?
Les déplacements, déjà un cauchemar en temps normal
Les déplacements à l’occasion de l’Aïd, c’est tout le Maroc qui va dans tout le Maroc. Les grandes villes se vident, généralement les Marocains retournent passer l’Aïd en famille, au bled, ou, s’ils sont aisés, dans leur résidence secondaire. C’est donc toute une logistique, avec un accroissement important des fréquences de trains, de bus… il y a des retards importants, on reste donc en foule serrée à attendre, qui son train, qui son bus, qui son grand taxi.
Cette année, contrairement à l’habitude, l’ONCF n’a pas communiqué sur un programme spécial pour l’Aïd (voir la mise à jour en bas d’article)

Cela s’étale en général sur une semaine. S’il n’y a que deux jours fériés pour l’Aïd, en pratique, la plupart des entreprises donnent des congés un peu plus longs à leur salariés. Il est aussi assez habituel de revenir en retard, sur le thème « je n’ai pas pu trouver de transport ».
Transporter tout ce monde en « respectant les mesures de sécurité sanitaire » est juste impossible.
D’autant plus que les voyages sont souvent longs, avec plusieurs heures de car… quel Marocain gardera sérieusement son masque tout ce temps-là dans le bus, alors qu’il s’agit d’un espace clos, confiné et mal aéré ?
Aujourd’hui, le 23 juillet, le Wali de Tanger a interdit aux salariés de la Zone Industrielle de quitter la ville pour l’Aïd. Je pense que c’est la première des mesures de restriction de déplacements qui vont se multiplier. Reste qu’un certain nombres de Marocains sont déjà partis.
Acheter et abattre son mouton en toute sécurité sanitaire
Pour abattre un mouton, il faut que son vendeur l’ait apporté au souk, que l’acheteur soit allé au souk et qu’il ait rapporté la bête et que quelqu’un ait abattu le mouton (et c’est souvent un boucher qui va de maison en maison). Le souk, en terme de distanciation sociale, c’est moyen, moyen, …. très moyen.

Autant d’occasions de se mélanger à une foule de Marocains à branchies, qui vont enlever le masque pour mieux négocier. Le boucher va passer de famille en famille. J’ai moins de craintes sur la viande elle-même, car elle doit être cuite longtemps et que l’abattage se fait avec des couteaux propres.
Le boucher, désormais, souffle rarement dans la patte pour décoller la peau, il utilise une pompe à air. Et toute cette viande sera longuement cuite à plus de 60°. Le risque de contamination en touchant une viande manipulée par quelqu’un de contaminé reste aussi faible que d’attraper le coronavirus en caressant son chat… mais il existe.
L’impossible distanciation sociale
On vous a déjà parlé en long, en large et en carré de l’impossibilité culturelle d’une véritable distanciation sociale au Maroc. On ne va pas recommencer, il y a un article à lire ici.
De plus, je le vois tous les jours, même les gens qui font attention sont fatigués et se relâchent.
L’Aïd c’est d’abord et avant tout la fête de la communauté musulmane, les fidèles se regroupent tous pour la grande prière du matin, femmes comprises, alors qu’elles sont, en général, plutôt rares à la mosquée au Maroc. La prière se fait donc en général dans des espaces à ciel ouvert, certes, mais en mode « collé serré », avec, avant et après, des embrassades nombreuses.

Faut-il rappeler que les grands rassemblements religieux ont été à l’origine de gros clusters, partout dans le monde ?
Après la prière, il y a la visite aux voisins, avec un groupe qui arrive dans le salon, échanges de saluts, embrassades, effleurements de mains, on prend un verre de thé (qui ne sera que rincé, rapidement, pour les prochains), et on repart dans la maison voisine.
Il y a le travail du mouton, avec les femmes en groupe autour des bassines, à couper, épicer, préparer les brochettes…
Bref, le LunaPark du Coronavirus.
Que peut faire le gouvernement marocain ?
Pour l’instant, le gouvernement implore les Marocains de ne pas voyager pour l’Aïd, seul le Wali de Tanger a pris une mesure plus ferme. Les autres fêtes du mois d’Août sont d’ores et déjà annulées.
L’annulation de l’Aïd est-elle une option possible ? A-t-elle une chance de se produire ?
D’un point de vue strictement religieux, rien ne s’y oppose
L’Aïd n’est pas un des piliers de l’islam. Ils sont au nombre de cinq :
- la chahada (profession de foi en croyance en un dieu unique),
- la salât (prière cinq fois par jour),
- le jeûne de Ramadan,
- la zakât (aumône)
- et le hajj (pèlerinage à la Mecque).
Le Hajj a déjà été tellement restreint que c’est, en pratique, une annulation pour tous les musulmans ne résidant pas en Arabie Saoudite. L’Aïd est une fête, mais le sacrifice n’est pas obligatoire, on n’est « obligé » de le faire que si on en a les moyens.
La priorité donnée à la préservation de la vie a déjà permis, sans trop de difficultés, la fermeture des mosquées pendant le confinement et après, et donc, pratiquement, d’empêcher les prières de la dernière semaine de Ramadan et de l’Aïd El Fitr. Comme le dit Mohammed Ennaji, le coronavirus a permis de faire passer la pratique religieuse au second plan. Il y aurait donc moyen, en restant dans la légalité religieuse, de maintenir ce type d’interdictions.
De plus, aujourd’hui, les grandes prières de l’Aïd restent, de fait, interdites : la phase trois du déconfinement ne permet pas les rassemblements de plus de 20 personnes.
D’un point de vue économique, c’est plus compliqué
« Interdire l’Aïd » reviendrait à laisser sur le carreau les éleveurs de moutons, qui ont souffert tout autant que les autres de la crise, et qui attendent avec impatience cette semaine pour pouvoir engranger la plus grande partie de leur chiffre d’affaires annuel.
Les conditions de sécheresse font aussi que de nombreux éleveurs bradent leurs troupeaux ou les laissent mourir, faute d’argent pour acheter du fourrage. Empêcher la vente des moutons de l’Aïd n’a aucun sens.
Enfin, l’Aïd est l’occasion de cadeaux, de transferts économiques des grandes villes vers les campagnes. Transferts dont le besoin est criant cette année.
D’un point de vue social, c’est risqué
Il faut savoir ne pas faire exploser la cocotte-minute. Après quatre mois de confinement et de restrictions, les Marocains ont besoin de se retrouver. Le respect de la loi et la discipline ne sont pas leurs premières qualités. Le mécontentement d’être totalement privés de l’Aïd pourrait pousser à des protestations ou simplement des refus d’obéissance difficiles à endiguer.
Encadrer, laisser faire et prier
Dans mon ancien métier, j’ai travaillé sur des projets SAP : cet ERP avait comme surnom « Submit And Pray », « Envoyer et prier ».
C’est, je crois, l’attitude actuelle du gouvernement. Encadrer, comme le Wali de Tanger, dans les endroits où c’est absolument indispensable, mais ne pas interdire.
Et c’est aussi la raison pour laquelle le pays ne s’est pas rouvert au tourisme étranger. Impossible de gérer l’Aïd et les touristes.
Après l’Aïd
Le temps que tout le monde rentre, que les tests se fassent, il faudra à peu près deux semaines pour savoir si on a, malgré tout, réussi à contenir le virus, ou si un nouveau pic de contaminations apparait.
Dans le premier cas, on pourra souffler, et envisager une véritable ouverture.
Dans le second cas, nous sommes sans doute repartis pour une période de confinement généralisé qui ne dira pas son nom : la multiplication des confinements spécifiques.
Plan ONCF spécial pour l’Aïd
L’ONCF a finalement communiqué (après notre article) son programme spécial pour l’Aïd, que vous pouvez trouver l’annonce ici.
Les horaires sont introuvables, le nombre de trains supplémentaires aussi.
Il est précisé que :
L’Office National des Chemins de Fer (ONCF) rappelle à son aimable clientèle, qu’en application des décisions des autorités, les voyages au départ des gares situées dans les villes classées en zone 2, à savoir Tanger, Marrakech et Kenitra, sont soumis à l’obligation de disposer d’une autorisation valable délivrée par les autorités compétentes.
De ce fait, la délivrance des billets de voyage ainsi que l’accès aux trains ne seront permis qu’aux voyageurs disposant de ces autorisations.
… plus facile à dire qu’à faire.
En savoir plus
- Au Maroc, le Covid-19 a fait sauter la crainte de faire passer le religieux au second plan
- Une analyse de Mohamed Ennaji, selon lequel la primauté donnée au traitement médical et la fermeture des mosquées marque un tournant important pour la société marocaine.
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- La régulation par les prix... voyager certes, mais avec un coût impossible pour de nombreuses familles dont le pouvoir d'achat a été divisé par deux depuis la crise. >
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2 commentaires
Bonjour
Bien vu !
Et voilà :
https://mobile.ledesk.ma/encontinu/interdiction-de-se-deplacer-partir-de-et-vers-differentes-villes-du-pays-officiel/
« les fidèles se regroupent tous pour la grande prière du matin, femmes comprises »
A propos du statut juridique de la prière de l’Aïd pour les femmes, quelques remarques intéressantes ici :
https://www.islamweb.net/fr/fatwa/311740/Le-statut-juridique-de-la-prire-de-lAd-pour-les-femmes