Aéroport de Marrakech, quelles leçons en tirer ?

Vous avez certainement déjà vu sur les réseaux sociaux la photo de l’aéroport de Marrakech bondé. Avec des commentaires qui vont de « Masha Allah, on a tellement de touristes » à « mais on n’a pas besoin de touristes, ils n’ont qu’à rester chez eux ».

Et des explications diverses, qui incluent une communication qu’aurait fait le Foreign Office demandant à ses ressortissants de quitter le Maroc à cause de l’affrontement entre Israël et l’Iran.

Qu’en est-il ?

Une expérience très désagréable pour les voyageurs

Quelles que soient les raisons, être coincé dans une telle marée humaine, avec les heures de queue que cela implique, l’impossibilité de trouver une place libre dans une buvette, la chaleur, etc. n’est pas une expérience positive.

Et on peut parier que pour les touristes qui l’ont vécu, ce sera un point noir. Si c’est la première fois qu’ils viennent au Maroc, c’est très dommage.

Ce genre de problème peut arriver partout dans le monde. Pendant trente ans, j’ai énormément voyagé, pris l’avion deux à trois fois par semaine. Et je me souviens encore de certains incidents, presque 8 heures de délai pour un Heathrow-Paris en juin 2000, 7 heures de délai pour un Casablanca – Marrakech en décembre 2004, plus quelques autres, moins graves.

A chaque fois qu’il arrive, c’est une très mauvaise chose, et je suis curieuse de voir ce qui va se dire sur les forums de voyage dans les jours qui viennent.

Donc se réjouir d’une telle foule est une ineptie.

L’ONDA a fait de gros efforts depuis quelques années, de nouveaux terminaux ont été construits, les procédures fluidifiées. Donc cela ne devrait pas survenir.

Que s’est-il passé réellement ?

Juste un « bouchon ». Une mauvaise planification. Un afflux pas prévu.

La conjonction de l’Aïd El Fitr, des longs week-end de Pâques et des vacances scolaires dans de nombreux pays Européens. (Zone A en France du 13 au 29 avril, en Angleterre, etc.)

Même si l’immense majorité des Marocains prennent plutôt la voiture ou le car, ils utilisent aussi les vols intérieurs. Les MRE qui ont passé Ramadan dans leur pays peuvent avoir envie de venir passer l’Aïd au Maroc.

Et surtout, c’était l’ouverture de nouvelles lignes Ryanair, entre autres.

Et c’était prévu.

L’aéroport de Marrakech connait son trafic à l’avance

Les autorités étaient parfaitement conscientes de ce qui allait se produire… et qui va continuer à se produire, en gros jusqu’au 20-25 avril (la fin des vacances de Pâques). Car le nombre des vols est connu largement à l’avance.

Le 15 avril, ce sont 47 arrivées d’avions Ryanair, qui n’existaient pas l’année dernière.

En tout pour la semaine du 15 au 21 avril, une moyenne de 87 vols atterrissent chaque jour. Donc, puisqu’ils repartent, 174 vols quotidiens et 1200 rotations durant la semaine. Soit, à +/- 200 personnes par avion, 17.000 personnes qui arrivent (et moins qui repartent, ça sera pour la fin de la semaine).

Et ce trafic n’est pas exceptionnel

Toutes les statistiques de trafic aérien (que vous pouvez trouver en détail dans les liens en bas de l’article) le montrent : 17.000 personnes, ça reste un trafic normal pour Marrakech. Plus important que l’année d’avant et encore d’avant, mais pas anormal.

Soit je me trompe dans l’estimation des passagers ce jour là (tirée des données ONDA), soit il y a eu autre chose.

Et les Anglais dans tout ça ? Ils n’y sont pour rien

Le Foreign Office n’a jamais demandé à ses ressortissants de quitter le Maroc

Oui, le Foreign Office a émis un avis recommandant d’éviter d’aller dans différents pays suite aux tensions entre l’Iran et Israël.

Ce qui est totalement différent de « rentrez tout de suite ».

Et qui ne concerne pas le Maroc. S’il aurait été initialement cité dans la liste des pays où des risques d’attentat étaient accrus, cette information a aujourd’hui disparu. Je vous laisse comparer la capture d’écran des « avis pour voyageurs » au sujet de l’Algérie, la Tunisie, le Liban, la Syrie, Israël et le Maroc.

	Recommandation au 17/4/2024	Cliquez sur la vignette pour voir la copie d’écran en grand
Maroc	Aucune recommandation de ne pas aller au Maroc ou d’en revenir immédiatement
Algérie	Éviter certaines zones. Pas de recommandation de partir immédiatement
Tunisie	Éviter certaines zones. Pas de recommandation de partir immédiatement
Liban	Éviter en totalité et partir immédiatement « tant que c’est encore possible ».
Syrie	Éviter en totalité et partir immédiatement
Israël	Nombreuses zones à éviter absolument. La totalité du pays doit être évitée.

Ni l’Allemagne, ni les Etats-Unis, ni aucun autre pays

On m’a dit que l’Allemagne aurait recommandé à ses ressortissants de quitter le Maroc. Là encore c’est totalement faux, il n’y a aucune mention sur le site de son ambassade à Rabat. Quant aux « avis aux voyageurs« , la dernière mise à jour au sujet de la sécurité date de 2018 (attentat d’Imlil).

La dernière alerte de l’ambassade américaine est au sujets de manifestations prévues à Casablanca le 5 avril 2024.

Les faiblesses – risques du secteur touristique au Maroc

En réalité, cet incident reflète deux des menaces structurelles qui pèsent sur le tourisme au Maroc.

La qualité des infrastructures

Les infrastructures touristiques marocaines sont excessivement concentrées, Marrakech et un petit peu Agadir. Le reste, c’est « la misère », encore plus depuis le Covid qui a causé la fermeture de nombreux hôtels. Le sud n’arrive pas à décoller, l’élargissement de la route du col de Tichka n’a pas suffit à le désenclaver, le tunnel est toujours « en projet » (encore plus avec le séisme de septembre 2023).

Or l’état a beaucoup soutenu le secteur touristique pendant la crise du Covid, mais il ne met plus d’argent dans les investissements hôteliers (sauf à revendre certains établissements à des partenaires privés), il travaille sur des améliorations de fond (la refonte des critères de classement en 2023, par exemple) et a un plan de développement pour les aéroports.

Plan de développement qu’il va falloir accélérer si on vise réellement les 26 millions de touristes pour 2030.

En dehors de cela, rien. Pas de balisage / création de sentiers pour le tourisme rural, pas d’aménagement, de mise en avant d’autres patrimoines. Un exemple que je connais bien, la Kasbah de Boualouane, entre Casablanca et El Jadida, pour laquelle tout un dossier avait été développé, activités sportives, randonnées, etc. et rien n’a été mis en place.

La perception du risque politique

Oui, à chaque fois que cela se passe mal dans le monde musulman, à chaque fois qu’un gros attentat peut être imputé à des extrémistes musulmans, même si le risque réel est extrêmement faible au Maroc, la fréquentation chute.

J’ai toujours du mal à comprendre le lien qu’il pourrait y avoir entre le conflit Israelo-Iranien et le Maroc, pays plutôt médiateur, qui a manifesté fortement son opposition avec ce qui se passe en Palestine, qui n’a jamais été un soutien de l’Iran ou des chiites.

Mais « tout ça » ce sont des musulmans… donc les touristes ont peur.

En résumé, la foule à l’aéroport de Marrakech, c’est juste une grosse journée touristique, pas particulièrement plus importante que d’autres, où les choses se sont mal passées, sans qu’on sache vraiment pourquoi. Et c’est plus ça le problème qu’autre chose.

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