Vous vous souvenez peut-être de Marcel qui avait pris un riad en location-gérance sans avoir de quitus de gestion ?
Bien des années après, nous avons croisé Samir dans la rue, et nous avons appris des détails supplémentaires sur “la fin de l’histoire”.
Marcel avait donc été attaqué pour l’obliger à régulariser les contrats de travail de son prédécesseur, et pour lui interdire de licencier les gens du jour au lendemain étant donné leur ancienneté.
Régulariser les contrats de travail impliquait de payer les cotisations CNSS et les impôts en retard, sur toute la période « recouvrable » : cinq ans.
Marcel se sentait dans son bon droit moral et se voyait dans une panade financière de plus en plus certaine. Il argumentait :
C’était pas de mon temps, si j’ai pas de quitus je m’en fiche
Il avait discuté de la chose avec l’inspecteur du travail, qui l’avait assuré que moyennant quelques “efforts’, son point de vue serait tout à fait confirmé par le juge.
Car si on commençait à ennuyer les gens qui voulaient investir à Marrakech et développer le pays, où allait-on ? C’était évident qu’il était de bonne foi et qu’il s’était fait arnaquer par de mauvaises personnes.
Marcel a donc payé.
Le juge a donné tort à Marcel, et l’a condamné à verser entre 6.000 et 8.000 dirhams à chacun des employés.
Et s’est assuré que Marcel le fasse avant de quitter le Maroc.
Cela faisait moins de 100.000 dirhams. Après avoir payé, Marcel a récupéré son passeport.
Juste après, Marcel a reçu une addition beaucoup plus salée, de 250.000 dirhams plus les pénalités.
Avant de recevoir la troisième addition, celle des impôts, Marcel a pris rendez-vous avec la CNSS pour négocier, la veille de son rendez-vous il a pris un avion pour repartir définitivement en France.
Après avoir mis la maison au nom de sa femme, pour qu’elle ne puisse pas être saisie.
Sa femme est revenue régulièrement pour de longs séjours dans sa nouvelle villa.
Aux dernières nouvelles, elle n’est pas repartie en France depuis quatre ans.
Je trouve cette histoire parfaitement exemplaire des pièges dans lesquels les Européens tombent quand ils tentent de jouer le jeu du bakchich (en dehors des aspects éthiques) :
- Ne pas identifier le bon interlocuteur : en l’occurrence l’inspecteur du travail n’a pas le pouvoir final, c’est le juge.
- Ne pas intervenir au bon moment : c’est avant que l’affaire parte dans le circuit judiciaire qu’il faut intervenir, ensuite c’est trop tard, cela prendra peut-être des années, mais cela sera jugé, et le plus souvent, “en droit”.
- Payer trop, pas assez, au mauvais moment, de la mauvaise façon.
- Croire, parce que “ça marche comme ça au Maroc” que tout marche comme ça. Ce qui marche assez bien de façon régulière, c’est l’huile dans les rouages, un petit billet en remerciement pour accélérer le dossier, la suppression d’un PV, etc… Mais dès que cela devient plus grave, “ça ne marche” plus selon les mêmes règles. Un juge ou un fonctionnaire, si il est ouvert au bakchich (et tous ne le sont pas) balancera toujours entre le risque de la sanction et le profit.
- Ne pas savoir jouer des imperfections de l’administration marocaine : quand on n’est pas sûr de son dossier à 200%, il vaut mieux essayer d’enterrer l’affaire que de lui donner une solution qui convienne. Un petit billet au bas de l’échelle, pour que le dossier reste en bas de la pile, c’est efficace, parce que c’est moins dangereux pour tout le monde, ce n’est pas une faute de la part du fonctionnaire qui enterre, il a juste géré les urgences…. Mais pour cela il faut connaître le bas de l’échelle.
- Essayer de faire soi-même : il faut éviter d’offrir un bakchich à un fonctionnaire honnête, et ils sont nombreux. Il faut savoir interpréter les signes, savoir aussi quel est le bon prix. Ou être en position de faire plus subtil, de proposer un échange de services… A moins d’être ici depuis longtemps, vous ne savez pas faire.
- Ne pas se rendre compte qu’ils se mettent en situation de faiblesse : les autorisations données contre cadeaux ne changent pas la loi, elles peuvent être remises en cause à chaque changement de fonctionnaire.
C’est pour cela que je souscris à quatre main à la conclusion de Bernard :
Ceux qui croient réussir au Maroc en « arrosant » font une double erreur. D’une part, à ce jeux là, un étranger ne sera jamais gagnant. Il y aura toujours quelqu’un qui “arrosera” plus ou qui se fera un plaisir de vous « planter ». D’autre part, même si le Maroc reste souvent opaque et qu’il est indéniable qu’une partie du business fonctionne dans une zone grise, la grande majorité des entreprises du milieu formel fonctionnent en respectant les règles.
(…) si le domaine que vous avez choisi ne peut fonctionner qu’avec des bakchich, changez de domaine.
Et n’oubliez pas non plus une chose : si votre “cas” vous oppose non pas à un Marocain, mais à un autre Européen, alors là, méfiance, car c’est sans doute la seule configuration où le bakchich sera mis aux enchères.
Finalement, c’est assez moral, tout ça :)
Par contre, si on vous fait des misères en appuyant fortement pour que vous donniez quelque chose, ou si vous avez l’impression que votre concurrent bénéficie de passe-droits « financés » il existe une instance où se plaindre, et c’est efficace. (Merci à AJFT qui a donné le lien en commentaire), c’est l’Instance Nationale de Lutte contre la Corruption (et c’est efficace).
En savoir plus
- Champs d'intervention de l'Instance Nationale de Lutte contre la Corruption
- Dans quels cas l'Instance peut-elle intervenir ? (Les données de contact sont aussi sur la page).
- Corruption dans la justice: des liens avérés avec la «mafia du sable»
- A propos de corruption... quand les corrompus s'embrouillent et quand un procureur du roi finit en prison ! >
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Un commentaire
Une adresse :
Instance Nationale de la Probité de la Prévention et de la Lutte contre la Corruption
https://inpplc.ma/fr/Pages/244-presentation-de-linstance-nationale-de-la-probite-de-la-prevention-et-de-la-lutte-contre