J’ai retrouvé dans mes archives ce très beau poème de Germaine Tillion, en exergue de son livre Il était une fois l’ethnographie
Dédicace à mes lecteurs
Pour vous, messieurs les Citadins,
Demi-Maghrébins, demi-Franciliens,
Pour vous, mesdames – sœurs des uns
Et épouses des autres -,
J’ai écrit ce petit bouquin,
Sur un passé incertain
Qui est à la fois vôtre, et nôtre.
Les Franciliens, les Maghrébins,
Ont tous baragouiné latin
Un jour ou l’autre.
Mais les Maghrébins sont berbères
– Aujourd’hui comme avant-hier –
Et le bon gars du Sahara
Qui veut faire plaisir à papa
Doit choisir pour beau-père
Non pas le p’tit frère de son père
Mais le grand frère de sa maman….
S’il vit au nord du désert,
C’est le contraire qu’il doit faire.
« Comme c’est bizarre », dit le passant,
Rêveusement…
Passant, notre planète est bizarre,
Entre nécessité et hasard…
Mais les planètes de rechange n’existent pas,
Et nous devons nous arranger avec celle-là,
Où (il y a dix millénaires,
C’est à dire « hier »)
Des hommes se mirent à polir des pierres
Tandis que les femmes pétrissaient des plats
Pour y mijoter les ratas…
Auparavant tous ne croquaient
Que graines sauvages et gibier,
Et – n’ayant pas de Frigidaire –
Ils se le partageaient
Avec leurs beaux-frères
En proclamant que « les amis
Valent mieux que l’économie »…
(Cela se nomme « exogamie ».)
Ainsi firent les Chinois anciens,
Les vieux Indos-Européens,
Ainsi que les Mélanésiens
Et – chez nos contemporains –
Les rois qui protègent leurs frontières
Tout comme des Berbères Sahariens
Ou d’authentiques Américains…
Quand survint la modernité
– Celle d’il y a six mille années –
Les hommes voulurent tout garder,
A la fois leurs femmes – et leur blé…
Très chers amis citadins,
Nous descendons de ces humains
D’abord généreux, puis radins…
Avec nos différences, il n’y a donc pas
De quoi faire tout un cinéma.
Lecture complète du livre fortement recommandée. Il a une signification particulière : publié en l’an 2000, il reprend ce qui reste des notes que Germaine Tillion avait prises dans les Aurès dans les années 30 et dont elle devait tirer une thèse. Arrêtée et déportée pour faits de résistance, elle perd ses papiers et des éléments de cette thèse disparue ne seront publiés que soixante ans plus tard.
Et pour écouter la voix de cette grande dame :
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2 commentaires
Quel beau texte, effectivement ! Merci pour ce partage
Merci beaucoup Nicole