Dans cette période estivale, il ne se passe pas grand chose… on ressort les palmiers-dattiers (version marocaine du marronnier). Et d’un seul coup, on voit passer comme un ovni, une querelle « littéraire ».
Un tout petit milieu littéraire
Le monde littéraire est toujours un petit milieu dont les auteurs se côtoient chez les mêmes éditeurs et dans les mêmes salons. Aux – rares – amitiés littéraires sincères se superposent des sourires de façade tentant de masquer les coups de plumes empoisonnées échangés avec un sourire.
Au Maroc, c’est renforcé par la petite taille « des » milieux littéraires : il y a ceux qui publient en arabe, ceux qui publient en français, les très rares qui publient en amazigh, ceux qui publient au Maroc, ceux qui publient à l’étranger, ceux qui vivent de leur art et l’immense majorité qui n’y arrive pas.
Enfin, beaucoup de ceux qui écrivent en français y transposent, je crois, le style « fleuri » qui vient directement de l’arabe. Manié avec raison, cela donne des textes très savoureux, avec démesure on tombe dans un surréalisme parfois difficile à comprendre, comme dans la version française d’Al Bayane.
Ces longs préliminaires posés, il me reste à vous présenter rapidement les trois acteurs de la pièce.
Deux écrivains, un architecte chroniqueur

Tahar Ben Jelloun
C’est un des « Écrivaaaaaaaains » marocains, au succès international et mérité. Il reçoit le Goncourt en 1987, ses livres sont traduits en plus de quarante langues !
Sa carrière est longue, prolixe, il peint aussi et on a un peu tendance à oublier, en le voyant aujourd’hui membre de l’establishment, qu’il fut un opposant à Hassan II et le paya cher. Une biographie détaillée ferait un article à elle toute seule…
Franco-marocain, il vit entre la France et Tanger, la ville de sa jeunesse, pour laquelle il garde toute sa tendresse. Il a une chronique hebdomadaire sur le 360.
Mohamed Laroussi

Contrairement à Tahar Ben Jelloun, ne descend pas d’une grande famille fassie. Comme lui, il a fait ses études dans les écoles françaises et à l’université en France, comme lui il y a rencontré des Marocains dont les noms seront souvent cités dans le monde politique marocain, comme Ali Yata, le fondateur du Parti Communiste Marocain.
Après quelques expériences variées, il a une longue carrière de publicitaire, interrompue en 2007 par un problème de santé. Il devient alors, à son tour, journaliste, chroniqueur dans plusieurs journaux, il publie souvent dans les mêmes feuilles que Tahar Ben Jelloun.
Il a publié un roman « Marx est mort, mon amour » aux éditions Marsam, des essais, des recueils de chroniques… Il a participé à la fondation du media en ligne « AnalyZ » et ce sont les éditions « Analyz » qui ont publié son dernier livre, on n’est jamais aussi bien servi que par soi-même !
Rachid Boufous

Comme les deux autres, ce gadiri a fait des études à la mission, puis un diplôme d’Architecture en France. Encore aujourd’hui, il se qualifie d’architecte-urbaniste, mais il publie aussi énormément de chroniques.
S’il n’a pas fait partie des plumes du 360, il est un des auteurs d’AnalyZ ( équipe polyvalente constituée de journalistes professionnels, d’écrivains et d’observateurs éclairés de la scène publique marocaine et internationale ), il publie aussi chez L’Économiste, La Vie Économique, Maroc-Hebdo, Aujourd’hui le Maroc ou la Revue Marocaine des Sciences Politiques et je le lis fréquemment sur Facebook.
Début 2022, il publie aux Éditions Le Fennec un roman « Chroniques du Détroit« , qui a lieu à Tanger pendant la première moitié du siècle dernier.
Un échange d’amabilités en quatre actes autour d’une chronique de Tahar Ben Jelloun
Acte 1 : Nostalgie – Tanger (et la Librairie des Colonnes) chronique de Tahar Ben Jelloun
La chronique par laquelle tout a commencé, sur le Tanger d’autrefois et de maintenant. Avec un paragraphe sur la fameuse Librairie des Colonnes, autrefois dirigée par les dames Gérofi, aujourd’hui en « deuil » après le décès de son repreneur et en attente d’une nouvelle vie.
La version tangéroise de « je vous parle d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître« , avec de l’espoir et de la fierté pour Tanger. Ce n’est pas un monument de littérature, mais c’est bien écrit, publicitaire dans le style marocain et assez exact, pour ce que je connais de Tanger.
Acte 2 – Sur Facebook, la critique de la chronique par Mohamed Laroussi
Or donc, le 8 août, Mohamed Laroussi pigne sur les quelques mots mentionnant la librairie des Colonnes.
Sans doute en connaît-il bien l’équipe et il ne souscrit pas, mais pas du tout à la vision de Tahar Ben Jelloun.
La Librairie Les Colonnes n’a pas ressuscité par une opération du Saint Esprit, mais grâce à la volonté et la détermination de Meriem Moumile, la veuve de Fadel, ainsi que de ses enfants qui n’ont pas voulu lâcher ce si beau patrimoine que le prédécesseur avait laissé très endetté, et ils se donnent un mal fou pour le maintenir debout et toujours aussi beau.
863 mots bien tassés (malheureusement Facebook ne permet pas mieux ni plus lisible), dont un quart sont consacrés à une vieille querelle de plus de vingt ans, un article qui attaquait Tahar Ben Jelloun auquel ce dernier n’aurait pas daigné répondre. Et un autre quart à une salve d’attaques sur Tahar Ben Jelloun « son style, sa courtisanerie, son oeuvre, sa vie… »
Acte 3 – La Critique – Seconde chronique de Tahar Ben Jelloun
Le 15 août, Tahar Ben Jelloun publie sa chronique hebdomadaire et, contrairement aux prédictions de Laroussi, il ne l’ignore pas. Je dirais même qu’il l’assassine… Mais en termes feutrés, réservés à ceux qui savent.
Il y parle de ce qu’est la critique, de la différence entre les critiques et les jaloux, des succès mérités de Leila Slimani, qu’il a parrainée sans chercher à faire pression sur le jury Goncourt.
Après ces considérations, on arrive in cauda venenum au sujet, l’individu ayant douté des « capacités intellectuelles et cervicales » de Tahar Ben Jelloun. Il finit en bottant joliment en touche sur les possibilités de publication des jeunes écrivains marocains. « On me dit qu’il a publié un livre » …
J’ai vu passé ce texte dans mon flux rss, sans trop le comprendre, il y est manifestement fait écho de beaucoup de médisances que je ne connais pas..
Acte 4 – Rachid Boufous félicite Mohamed Laroussi
C’est finalement avec le post de Rachid Boufous que j’ai compris et remonté l’histoire… Il est assez drôle de voir deux messieurs pas trop jeunes et très acides (une acidité revendiquée, sinon je ne me serais pas permis) s’offusquer que Tahar Ben Jelloun réponde avec beaucoup moins de méchanceté que celle qu’ils ont employée.
Je me demande comment ces deux-là frétilleront quand ils auront la même renommée et la même reconnaissance que Ben Jelloun ?
#drama, jalousies et aigreurs
Le mot clé de cette histoire n’est-il pas #drama ? Celui qui, bien utilisé, permet de buzzer et de développer son audience sur les réseaux sociaux ? Une technique bien connue de tous les marketeux, comme Laroussi.
Je vous ai raconté toute cette histoire parce qu’elle m’a amusé.
Parce qu’elle m’a donné envie de lire les romans de M. Laroussi et R. Boufous. Il faut encourager la création marocaine… (Celui de Rachid Boufous était dans ma pile à lire d’ailleurs).
Parce qu’elle m’a énervé aussi en lisant la petitesse de certains commentaires.
Et surtout parce que je suis certain que je me serais fait descendre de la même façon sur Facebook si j’avais tenté d’exprimer un avis légèrement différent.
Parce que Mohamed Laroussi n’aime pas la critique non plus. Il n’aime même pas vraiment le dialogue : son site AnalyZ n’accepte pas les commentaires ! Cette posture pontifiante où ces hommes éclairés délivrent un message sans imaginer la possibilité d’échanger avec des lecteurs me déplait.
Le feuilleton continue !
Acte 5 – Non Tahar, je ne suis pas jaloux de toi
Comme de bien entendu, la réponse de Tahar Ben Jelloun n’a pas plu à Mohamed Laroussi, qui la qualifie d’ « écrit puant qui se voulait en plus méprisant » et répondant à une critique où il n’y avait « rien de bien méchant ».
Peut-il réellement, sincèrement, dire que « le sujet principal du texte que j’ai publié sur ma page Facebook c’était « Les Colonnes » et rien d’autre ». Quand on voit que seulement la moitié son texte parle de la librairie des Colonnes ?
Quand son texte commence par une attaque ad hominem, au nom j’imagine de l’acidité revendiquée du chroniqueur ? Mais si « se poser des questions sur l’état actuel des facultés intellectuelles ou du moins cervicales » n’est pas « méchant », qu’est-ce qui l’est ?
Et si Mohamed Laroussi reconnait « Je dois t’avouer que j’ai regretté après-coup cette expression qui n’est ni très jolie ni très polie, surtout envers un vénérable écrivain comme toi. Je la retire publiquement, mais je maintiens tout le reste » en fait il raconte un peu n’importe quoi… car il ne l’a pas retirée de son post d’origine sur Facebook. Ce n’est pas difficile… clic droit, « Modifier ».
Mais on peut ne pas maîtriser Facebook tout en étant un écrivain.
Honnêtement, tout ça fait plus débat de cour d’école qu’autre chose, et ça fait tout sauf grandir la littérature marocaine.
Une odieuse attaque « Ad Hominem »
Décidément, ces messieurs sont très drôles.
Quelle ne fut pas ma surprise, en baguenaudant sur Facebook, de découvrir ce post, où l’un des deux protagonistes se défendait longuement de ne pas être un « hypothétique Tangérois qui se prend pour un écrivain« . (Post repris ici, pour enfoncer ce clou essentiel).
La formule n’est pas aimable, je le conçois. Elle a au moins la courtoisie de ne pas remettre en question les « facultés intellectuelles ou du moins cervicales » de l’auteur.
Mais ce n’est pas le texte en lui-même qui a attiré mon attention, brouillé mes yeux, fait choir un instant mes doigts devenus incapables de clavioter.
Non, ce qui m’a interpellé au plus haut point, ce sont les commentaires de la troupe d’adoratrices de l’auteur.
En voici deux exemples :
Pris d’un doute, je suis allé relire la critique de M. Laroussi, approuvée et validée par M. Boufous et un choeur beaucoup plus vaste de thuriféraires. (Juste pour prouver que je peux aussi écrire des mots aussi grands qu’excommunication).
J’en ai donc conclu que l’élégance est toute relative et n’a pas les mêmes exigences selon que l’on critique un écrivain connu internationalement ou que l’on tacle un jeune auteur, jeune par le nombre de livres publiés sinon par les années.
Sinon, j’ai bien aimé les Chroniques du Détroit !
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