La téléportation semble avoir été un des sports préférés des Sidis marocains, une des manières les plus faciles et indiscutables de prouver son pouvoir, aussi un moyen commode d’échapper à ses ennemis en un temps où pouvoir religieux et pouvoir temporel étaient encore plus inextricablement mêlés qu’aujourd’hui.
Les Sidis, liens entre les tribus
Les Sidis, ou saint hommes, fondateurs de zaouïas, dont les réseaux étaient partie prenante dans les luttes de pouvoir entre les grandes tribus, ont parfois sauvé leur tête uniquement grâce à leur capacité à voler de nuit, invisible, et à atterrir au matin dans une oasis amie du Sud, au cœur des terres sahariennes ou berbères, en « bled al siba », ce pays de dissidence où le pouvoir central ne pouvait plus les atteindre. (C’est par exemple le cas de Sidi Abderrahmane El Aroussi).

Et l’un d’entre eux, Sidi Bouazza, a même réussi à être enterré deux fois, avec un tombeau à Khenifra et un tombeau au Sahara…
Exploit que ne peut égaler Sidi Belyout , un des saints de Casablanca, qui a donné son nom à une des communes de la ville. Son marabout se trouve près du port, face à la mer, à quelques kilomètres au nord de celui de Sidi Abderramane, juste à côté de la muraille. Belyout est un nom étrange, qui n’a rien d’arabe, ni de berbère. Ce n’est pas un des prénoms classiquement donné aux enfants musulmans, un de ces beaux prénoms recommandés par Mouhamad, ce n’est pas le nom d’une tribu, ni le nom d’une ville.
Qui est Sidi Belyout, le protecteur de Casablanca ?
Il y a plusieurs légendes à son sujet.

La plus drôle prétend que c’est l’un des derniers Sidi, qu’il a manifesté son pouvoir au tout début du siècle dernier, venu du ciel … et quand on sait qu’en arabe le B et le P sont une seule et même lettre, que le E n’existe pas et se prononce I ou A, et que le O n’existe pas non plus, notre Belyout se transforme tout simplement en « pilote ». Le Sidi Belyout dont le joli marabout est encore régulièrement visité pourrait bien être un des premiers pilotes de l’aéropostale, ou même encore plus tôt, un de ces fous volant dont la merveilleuse machine lui aurait fait défaut en arrivant à Casablanca. Et sans doute le seul Sidi à avoir réellement voyagé dans les airs !
Plus sérieusement… » le père des lions »

La coupole de son marabout ayant été construite en 1881, si Sidi Belyout avait été un pilote, il aurait voyagé non seulement dans les airs, mais dans le temps ! C’est une jolie histoire qui montre que les Marocains n’ont pas perdu leur capacité d’invention, la même que celle des conteurs de Jemaa Fna ou du Grand Socco, mais elle n’a pas grand chose à voir avec la « véritable » légende (ou du moins, celle qui est communément admise).
Sidi Belyout aurait vécu au XII° siècle, une période où les Almohades mettent en place un pouvoir ascétique et puritain (à tel point que la dynastie est parfois assimilée au chiisme et que ses symboles ont ensuite disparu, comme le tombeau du Mahdi près de la mosquée de Tinmel). En phase avec exigence de pureté et de dépouillement, il s’installe dans la forêt à côté de ce qui était à l’époque Anfa. La forêt d’Ain Sbaa était peuplée d’animaux sauvages, en particuliers de lions qui lui ont donné son nom (Aïn Sebaa veut dire « la source du lion »).
Mais les Sidis et les croyants ont des pouvoirs miraculeux. Celui de ce saint était de charmer les animaux, en particulier les lions. Ces derniers, disait-on, montaient la garde autour de lui, l’aidaient à garder son troupeau de moutons et de chèvres, le guidaient dans ses déplacements quand il est devenu aveugle. Finalement, à sa mort, les lions l’ont transporté aux portes d’Anfa pour que les habitants puissent l’enterrer.
Ce qu’ils firent sur le lieu même où les fauves l’avaient déposé : c’est pour cela que son tombeau est « hors les murs ».
Le Sidi fut surnommé « Abou Loyoute« , le père des lions.
Le cimetière de Sidi Belyout, un lieu historique
Les habitants de la ville souhaitaient se faire enterrer à côté de lui et un cimetière s’est développé.

Au début du siècle dernier, les ouvriers qui construisaient un chemin de fer permettant de relier le port à la route de Rabat passent à travers le cimetière, le profanant aux yeux des Musulmans.
Ceux-ci se révoltent et tuent sept ouvriers. La France réagit à son tour avec la force armée et un bombardement sanglant et meurtrier conduit par l’Amiral Philibert. C’est le début de la colonisation.
Sidi Belyout aujourd’hui
« Encastré » dans un quartier en pleine modernisation, à proximité de la nouvelle gare TGV de Casa-Port, le petit mausolée de Sidi Belyout est toujours debout, protégé, entretenu. Il résiste à la spéculation immobilière, mais pas les maisons autour de lui, qui sont en mauvais état. Le cimetière a effectivement été en partie remplacé par le chemin de fer.
Il existe une fontaine dont l’eau aurait la capacité de faire revenir à Casablanca tout ceux qui en boivent. Le mausolée est un hâvre de paix pour ceux qui sont tourmentés, en particulier les jeunes filles (qui visitent aussi sans doute l’ilôt de Sidi Abderrhamane). On avait l’habitude d’y emmener les petits garçons avant leur circoncision. La vie moderne fait que le mausolée est de moins en moins visité…
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