Si la phrase « entre tradition et modernité » est comme une devise marocaine, elle est rarement appliquée dans les riads, produit essentiellement touristique, calibré pour fournir aux visiteurs une savante combinaison de clichés qui se répètent de riad en riad avec comme seules variantes les couleurs du tadelakt ou des couvre-lits.

C’est donc un grand plaisir de voir un riad qui fait réellement la part à la modernité et qui introduit sans fausse note des éléments modernes dans un décor qui renouvelle ces points de passage obligés que sont « la chambre de riad », « le patio » et « le salon marocain ».

Il s’agit cette fois-ci du riad Mena, restauré et décoré par Philomena Schurer Merckoll et le décorateur Romain Michel-Ménière. Philomena Schurer Merckoll, allemande née à Londres, a longtemps vécu à New-York avant décider, finalement, de se partager entre le Maroc et l’Angleterre, tout en continuant à parcourir le monde.

Romain Michel-Ménière s’est installé à Marrakech, il a décoré de nombreux riads et villas, avec un talent particulier pour des ambiances paisibles et douces.
Une des clés de cette réussite-là est sans doute qu’à l’origine, le riad Mena devait être une demeure privée. Il a donc été conçu par ses futurs habitants pour leur usage, au lieu d’être, dès le début, conçu pour être exploité. Le résultat est une véritable maison d’hôtes, au sens traditionnel du terme. C’est précieux à l’heure où de nombreux riads sont des produits hôteliers que ni le propriétaire ni le gérant n’habitent…
La restructuration en profondeur de plusieurs maisons de la medina

Le riad d’origine était une grande maison, dont le premier étage n’était pas construit. Plutôt que de s’enfermer dans une construction strictement marocaine, les propriétaires et le décorateur décident de construire deux façades seulement, l’une avec un salon marocain ouvert comme cela se pratique couramment désormais, sur un grand balcon à colonnes, l’autre un balcon fermé par des panneaux de fins moucharabieh, qu’on appelle aussi menzeh, et qu’on trouve rarement dans les riads marocains : au Maroc, le menzeh est un bâtiment à part, une habitation d’été, souvent dans un jardin.
La construction d’un menzeh à l’intérieur d’un riad est plutôt ottomane, on la trouve dans les pays qui ont été influencé par l’occupation turque (Algérie, Tunisie, Égypte). Le menzeh se trouvait par contre assez fréquemment dans les mellahs (quartiers juifs des medinas), on en voit de nombreuses traces sur les façades externes.
Le menzeh de la grande suite est un superbe espace, qui appelle à la rêverie. On y a une vue sur les frondaisons du patio, particulièrement fournies, un grand divan confortable, tandis que le moucharabieh apporte de la fraîcheur.
Deux petites maisons ont été ajoutées au riad d’origine, ce qui a permis de faire une seconde cour qui abrite la piscine et sur laquelle donnent les espaces privés.
Une très grande suite donne sur le patio, comme sa salle de bains séparée. La pose de cloisons en bois permet de préserver l’intimité, tout en bénéficiant de la lumière et de la senteur des orangers !
Le parti pris du blanc
Marrakech est surnommée la ville Rouge, ou la ville ocre, à cause de la couleur uniforme (et obligatoire) de ses murs. Par contre, à l’intérieur, le propriétaire garde la possibilité d’utiliser les couleurs de son choix. Le blanc et les camaïeux de gris et de blanc cassé sont à l’honneur dans le riad.

Tous les murs et les plafonds sont peints en blanc, même les lustres qu’on voit habituellement en métal doré ou argenté sont peints, en blanc ou en noir. Les tissus restent dans des teintes naturelles, relevées par des coussins et des tapis berbères aux tons chaud.
La grande suite elle même abandonne les touches de couleurs, les trois pièces en enfilade sont toutes décorées dans un camaïeu de blancs, de grèges et de gris tamisés par les voilages…

Les incartades au style marocain
Ce que j’aime dans cette décoration, c’est son essence marocaine. Malgré toutes les incartades au style marocain classique, la question ne se pose pas : on est au Maroc.
Peindre les plafonds entièrement en blanc n’est pas très classique. On a l’habitude de laisser les poutres apparentes, dans leur couleur naturelle. Les plafonds sont souvent décorés de couleur, soit les espaces entre les poutres sont peints, soit les décoration en stuc dans les pièces où les poutres ne sont pas visibles.

La simplicité des matières, des voilages, des tissus jetés sur les sièges et les lits ne correspond pas non plus à la décoration marocaine classique, qui aime tellement les tissus richement décorés, les pompons et passementeries, l’or, les motifs chargés…
L’absence de divans le long des murs dans les salons est bien entendu une « hérésie » … les salons marocains sont TOUJOURS meublés avec ces longues banquettes qui permettent d’accueillir les nombreux invités beaucoup mieux que des sièges individuels. En effet, un fauteuil = une personne, un divan avec trois coussins = trois à huit personnes, selon la corpulence et la capacité à se serrer.

Quant aux salles de bains sur cour, elles sont liées à un mode de vie à l’antithèse de la pudeur marocaine.

Toujours dans le domaine de la salle de bains… les baignoires ne sont pas très marocaines non plus. Très répandues dans les riads et les appartements « français », elles font fi de la superstition marocaine qui n’accepte que l’eau courante. Et savez-vous pourquoi ? Parce que l’eau stagnante attire les djins.
C’est donc le même problème pour la piscine (qui a su se faire discrète, dans la seconde cour). La piscine dans le riad est une invention touristique. Même si on n’est pas superstitieux (ou qu’on envisage gaiement de barboter avec un djinn), elle a d’autres inconvénients, en particulier celui d’attirer moustiques et insectes…

Les meubles modernes
La touche d’exception, dans ce riad, c’est la réussite du mélange entre des meubles de designers très modernes, comme Saarinen ou Philippe Starck, avec des meubles marocains et des étoffes traditionnelles.

Chaque pièce est décorée de quelques meubles, luminaires, souvent de très grandes signatures. Ceux-ci s’intégreraient moins facilement avec un style marocain chargé, ici ils sont parfaitement intégrés, comme les chaises Barcelona de Van Mies, ou bien, même s’ils se remarquent, comme le fauteuil ballon ou les chaise Panton dans la salle à manger, la table et les chaises Tulip dans la cuisine.

Le site du riad : riadmenaandbeyond.com
Le site du décorateur : www.romainmichelmeniere.com
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2 commentaires
Un petit mot pour vous féliciter sur votre article sur le Riad Mena, ça m’a fait très plaisir malgré que ce riad comme la plupart que j’ai fait (je bosse de nombreuses années sur un seul projet, donc j en ai fait que peu:
– Dar AL Sultan mon premier riad perso,
– Riad de Tarabel ;
On est plusieurs, et je n ai pas fait la déco de celui ci; une Ksbah Hotel bab ourika, et Riad Mena… Ensuite d’autres projets privés et ma villa que j ai vendue (Villa Agama) n’ont pas de la grandeur de certains riads authentiquement beaux, avec zellijes et plafonds zouakés.
Ce que voulais vous dire c’est que votre article m’a paru très intéressant dans l’éclairage de la vrai architecture marocaine et de notre vision qui la transgresse.
J’essaye malgré tout malgré certaines erreurs assumées comme vous l’avez intelligemment noté, de respecter les codes de l’architecture marocaine dans ses proportions, son esprit. merci et bravo.
Bonjour Romain,
merci pour votre passage et votre commentaire élogieux. J’apprécie vraiment votre travail !
Et pour être clair, je ne pense pas que vous ayez fait des « erreurs », mais des interprétations particulièrement réussies. Je ne suis pas partisan de vivre dans un musée ou une reconstitution historique, votre grande chambre blanche, par exemple, est une grande réussite !