… ou le vrai Maroc, entre tradition et modernité.
La tradition, omniprésente, ce sont les sept jours de fête, avec toute la khabila (tribu) іnѵіtéе selon des arbitrages précis, tous les habitants du douar des mariés, et puis des représentants de chaque autre douar, désignés selon les affinités, le prestige, l’honneur… et les disponibilités, car Août étant la saison des mariages, il faut répartir savamment toutes les personnes entre les différentes fêtes, sans en manquer une seule, ni froisser personne.
La tradition ce sont des rіtuеlѕ suffisamment vivants pour que leurs acteurs n’aient pas l’impression de jouer un rôle, mais soient pleinement dedans.

Dans « notre » sud, le henné est extrêmement important. La fête de mariage s’ouvre avec le « premier » henné de la mariée, qui descend, entourée et protégée par les femmes, sur une aire aménagée devant la maison. Elle dissimule son visage avec les mains, tandis qu’une ou deux anciennes lui badigeonnent les cheveux avec un henné très liquide.
Puis ce sera au tour du fiancé d’être emmené par un groupe d’hommes sur une place, enduit de henné, habillé de blanc, emmitouflé dans un burnous de laine noire (nous sommes en plein été dans le désert), et enturbanné de blanc. Il aura lui aussi le visage couvert, et ne se montrera plus à découvert avant le mariage.

Henné des femmes, à nouveau, mais celui des іnѵіtéеѕ, qui vont avoir à leur disposition quelques expertes des motifs traditionnels, géométriques, ou des dessins de fleurs qui sont à la mode en ce moment.
Puis le sacrifice du mouton du marié, dont l’abattage et le dépeçage est martelé par des habitants du village chantant l’ahaouache, et les louanges du marié, qui devra déguster quelques morceaux de viande crue.
Et dieu sait que les Marocains ont horreur du cru !

La fête des femmes, ensuite, et le deuxième henné de la mariée, dont les mains et les pieds sont richement tatoués. Pour cela, elle a mis son plus beau caftan, tous les bijoux qu’on lui a offert, et particulièrement une ceinture d’or.
Irruption de la modernité, ou plutôt d’une tradition du Nord, la mariée va revêtir ce jour là sept caftans différents, à chaque fois se montrer, se faire photographier avec les invitées, et lancer des bonbons aux enfants.
Enfin, le dernier jour, le dernier henné de la mariée, le rite de passage, elle est assise, entourée des femmes de sa famille, le visage toujours dissimulé derrière un voile rouge (c’est la mariée du Draa, la mariée Aït Atta…) pendant que les femmes chantent en chœur, à tour de rôle une mélopée grave et lente qui ne s’interrompt jamais, elle va être préparée une dernière fois, couverte de henné, les cheveux entièrement rougis sont tressés, rallongés avec des brins de laine, elle est recouverte d’un voile blanc, puis d’un burnous noir, et d’un poignard, semblable presque en tous points à son fiancé…

Elle va quitter le monde de l’enfance sur le dos d’une femme qui va la porter à l’extérieur de la maison paternelle, sans que ses pieds touchent le sol.
Puis, dans une voiture klaxonnante (voici le retour de la modernité), elle fait le tour du village, entourée des femmes qui rythment maintenant des chants de mariage au rythme des tambours de peaux de chèvres. Elle s’arrête enfin devant la maison du marié, où elle est portée, tandis que les hommes chantent des prières, des bénédictions. L’assistance entière, les délégués de la kbila, la famille, restent en bas, dans la rue, ou dans le grand salon, en attendant… en attendant le drap, la preuve que le mariage s’est passé dans les règles.
Ce que j’ai déjà vécu plusieurs fois à Tazzarine, à Zagora, Beni Zouli ou Tineghir est une tradition qui n’existe déjà plus dans les villes.
Et pourtant, dans les invités, il y a aussi les membres exilés de la kbila, ceux qui sont cadres ou fonctionnaires, dans les grandes villes, costumes trois pièces de banquier à Casablanca ou de commerçant émigré, et qui ont tout oublié du monde moderne en remettant la djellabah blanche sous le burnous sombre.

Les « deux Marocs », le moderne et le traditionnel, celui des villes et celui des champs, pour parodier La Fontaine, sont beaucoup plus imbriqués que nous ne pouvons le percevoir de prime abord. En pays berbère, la tribu est encore le noyau structurant, et en pays « non berbère », ou dans les grandes villes, les enclaves territoriales sont légions, les gens d’un bled ou d’un autre grignotent un Hay ou un autre, peu à peu.
Alors certes, la réalité économique est impossible à ignorer. L’internationalisation est là, les règles du jeu mondial ne peuvent pas être modifiées, et l’immobilier de Marrakech est surcoté.
Mais pour comprendre le Maroc, il ne faut pas oublier que peut être, dans ce mois des mariages, le banquier qui décide des crédits est descendu dans le sud, honoré qu’on lui demande de tenir un rameau de palmier mâle pendant qu’on enduisait de henné un jeune paysan vraiment pas très riche, mais dont la lignée remonte à un Sidi des temps du début de l’Islam, qui a deux cimetières…. (et il faudra un jour que je vous parle de l’importance des zaouïas dans le Maroc moderne).
Une des spécificités du Maroc est de n’avoir été soumis que pendant une petite cinquantaine d’années à un occupant étranger. Rare sont les pays non-occidentaux qui partagent ce record… le Japon par exemple, dont la dynastie régnante est, à l’instar des Alaouites, une des plus anciennes encore régnantes.
Cette indépendance, la fermeture du royaume aux étrangers, à partir du XVIII° siècle ont forgé une culture, une tradition qui est maintenant un des principaux enjeux du Maroc : arriver à développer avec, mais pas contre, à transformer sans trahir, à améliorer, à utiliser au lieu de subir.
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10 commentaires
@Marie-Aude
« …Pour revenir au côté luxueux de Moulay AbdelAziz, je te rassure, on en est très loin … »
Tu vas souvent trop vite en besogne. Il y a souvent méprise dans la compréhension de ce qui est écrit . Ce qui rend le dialogue fastidieu et difficile c’est que tu as une foi absolue de ce que tu pense être le contenu du message. Il y a déjà le coup de science po – paternaliste, sans que j’ai jamais proféré une telle injustice à son égard -… etc .
J’avoue avoir longtemps hésité de répondre, justement de peur de voir mon message déformé dans sa compréhension .
Désolé de paraître abrupt dans ma réponse, mais consentir de telles erreurs c’est autorisé un débat biaisé. Mais la quête de la vérité est quelque chose de sacrée pour moi, et fait que je me trouve sur ce forum.
Pour terminer sur « tradition et modernité », le marié a fait quelque chose de réellement moderne.
A cinq heures du matin, il a mis fin à la traditionnelle promenade photo avec sa fiancée devant les divers monuments de la ville, et il s’est sauvé avec elle, pour avoir un peu de tranquillité et d’intimité pour commencer leur vie de couple.
Je crois avoir été la seule à trouver cela bien.
Au Maroc, les mariages ne sont pas, sauf exception, pour les mariés, mais pour les invités.
@Abdel j’ai déjà tenté une fois d’éclaircir des malentendus avec toi par mail, pour ne pas encombrer ce blog, et je ne recommencerais plus. Je réponds effectivement à ce que je comprends du message, peut être es tu parfois trop concis dans tes raccourcis, ce qui pousse à la méprise.
J’avoue ne toujours pas très bien comprendre le rapprochement entre un récit d’un mariage dans le sud, celui fait il y a plus d’un siècle d’une réception d’un sultan, une pensée digne d’une période de l’ère coloniale, et un billet qui se voudrait militant – positif (et qui ne l’est pas).
@Marie-Aude
il se trouve que je suis entrain de lire actuellement un livre « archives du Maroc » éditions michèle trinckvel,des années 1900 écrits par des colons. Il y’est question d’admirations des musiciens « chleuhs » et fiancée ( à peine 11 ans) revêtue d’habits les plus riches et portant de nombreux bijoux, des enfants pédérastes , mais admirables , on y montre et encense le sultan Moulay Abdelaziz accroupi sur une chaise louis (??) comme à la mosquée sur un tapis pendant que ses convives assis normalement …etc – puisque c’était si admirable je ne vois pas pourquoi ses successeurs ont choisi la modernité dont Hassan II considéré un des chefs d’état les plus élégants à l’occidentale.
Il se trouve que pour des raisons non encore élucidées j’ai ressenti le même malaise en le lisant qu’en lisant ton billet , peut-être pour cause de dissertations semblables . Je suis incapable en ce moment de démêler ce sentiment de malaise.
Pour cette raison je me suis abstenu de commenter ton billet hier.
Mais le commentaire de Emomo tombe à pic .
J’ai dis paradoxalement, puisque ton billet se veut militant positif, mais c’est le contraire que j’ai ressenti. Je ne veux pas m’étendre davantage et répondre pour répondre. Je n’ai pas vraiment d’inspiration actuellement pour une explication clair.
Meric pour ta réponse, je crois que c’est un point important. Et que d’une certaine façon, il a maldonne, ou « contamination de sens » par rapport à mon billet.
D’abord, le luxe d’un mariage princier, puisque c’est le cas de celui de Moulay AbdelAziz est effectivement admirable, partout. Et j’imagine plus encore au Maroc qu’ailleurs, tout simplement parce que le luxe est le sens de la fête, du décorum, y est très présent.
Pourquoi s’étonner que Moulay AbdelAziz soit plus richement assis que ses convives ? Dans tous les mariages le couple est assis sur un fauteuil, tandis que l’assistance est sur de simple chaises… c’est le principe même du trône en fait.
Qu’Hassan II ait eu une réelle élégance occidentale ne l’a pas empêché de revêtir aussi souvent les vêtements traditionnels, tout comme ses fils… et personnellement, je trouve beaucoup d’agrément aux vêtements marocains, que cela soit en période de forte chaleur, ou de bon hiver à Ouarzazate. Ils sont bien adaptés à un mode de vie traditionnel, encore une fois, à des maisons qui, même dans les immeubles modernes, ont rarement le chauffage central, etc…
Mon billet n’a aucun côté militant, ou positif, il est simplement là pour rendre compte d’une réalité, d’un Maroc dont je partage le quotidien assez régulièrement, et qui est très éloigné d’internet et des blogs. Mes cousines ne connaissent d’internet que le mail et le chat, cela leur permet d’échanger facilement avec leurs fiancés, pendant la longue période où elles ne peuvent pas les rencontrer en face à face, et cela se fait avec la bénédiction des parents et des grands frères. Là aussi un mélange de tradition et de modernité (car les grands frères savent parfaitement ce qu’est msn…)
J’ai mon opinion personnelle de femme occidentale plutôt plus indépendante que la moyenne sur ce que je vois autour de moi. Cela reste une opinion, qui ne serait pas acceptables pour elles, parce qu’elles ont été tout aussi formatées par leur milieu que moi par le mien.
La seule chose que je peux faire, c’est essayer de comprendre, le plus possible, et de rendre compte.
Pour revenir au côté luxueux de Moulay AbdelAziz, je te rassure, on en est très loin. J’ai déjà fait un article là dessus, je ne vais pas y revenir, mais ma belle famille est pauvre, et plusieurs de mes beaux-frères sont en dessous de la limite du seuil de pauvreté. Le « luxe » de ce mariage cela a été la viande, l’abattage d’une vache, des moutons, et les sept caftans des deux fiancées, qui n’étaient même pas sûres de pouvoir s’offrir les services d’une ngafa.
Quand nous avons fini le mariage d’une des deux, « à la ville », nous sommes entrés dans un univers un peu plus modernisé, et à mon goût beaucoup plus pénible, car il ne restait que la mise en scène.
Pourtant, si – comme – les mariés sont heureux de cette mise en scène, c’est l’essentiel.
Remarques pertiantes, Marie-Aude. En lisant le post, j’étais en train de penser à ce qu’endurent les 2 mariés (Vêtements en laine en plein été, dégustation de quelques morceaux de viande crus, le supplice du drap entachée…, je ne vais pas pousser à une pensée digne de l’ère coloniale). Bonne chance pour les couples.
Par ironie, quand j’entends un mariage quelque part ou bien je vois un attroupement de voitures avec la carrosse qui porte les cadeaux destinées à la mariée, j’ai la tendance d’appeler le couple « les victimes ». Victimes de contradictions tradition/modernité.
Quand on regarde ces traditions, il ne faut surtout pas le faire avec « notre » regard.
Pour moi aussi, la première fois, j’ai été abasourdie par la cérémonie du drap. Je trouvais cela indigne, je me mettais à la place des mariés… mais je n’y suis pas justement, et je ne pourrais jamais l’être.
Après j’en ai beaucoup parlé avec mes neveux et nièces… ce n’est pas tellement un supplice, c’est quelque chose qui « doit » se faire, c’est leur fierté aussi.
Le mouton cru a une signification profonde, comme le henné, comme peuvent l’avoir les visites aux marabouts sur la mule, etc. et c’est cela qui est vécu par les mariés, pas ce que « nous » pouvons en percevoir.
Les vêtements en laine en plein été c’est dur, c’est vrai… moins pour eux aussi que pour nous (car j’ai vu des femmes qui n’étaient pas les mariées, donc pas obligées de s’habiller d’une certaine façon, empiler chaussettes en laines, sous vêtements, première robe, caftan, jupe, et ce qu’on appelle le « zif » qui est une double épaisseur de tissu enroulées plusieurs fois autour du corps).
Je préfère un mariage réellement traditionnel aux mariages des villes. La séance des caftans, où la mariée va être habillée en poupée de luxe à sept reprises, écrasée sous les vingt à vingt-cinq kilos du costume fassi, et va supporter des heures de photos, avec des gens qui ne la connaissent même pas, mais qui veulent « un souvenir », me parait bien pire.
Et même si il n’y a pas de « cérémonie du drap », c’est du pareil au même, tout le monde se pose la question, en discute….
@Emomo
« …je ne vais pas pousser à une pensée digne de l’ère coloniale … »
Pardoxalement en lisant l’article hier c’est la première pensée qu’il m’a inspiré. Mais j’ai préféré m’abstenir ! .
Qu’as tu donc pensé Abdel ?
Beau billet Marie-Aude.
Ce dilemme tradition/modernité existe bel est bien chez beaucoup de mes compatriotes ! :)
PS : On dit plutôt Kbila, le Kha se prononce que le J en espagnol ;)
Adam