… Depuis le 8 février 2013, Marcelline et Jean ont eu largement le temps de traverser le col de Tichka ! J’avais un peu perdu de vue leurs aventures, mais des échanges sur Facebook m’ont donné envie de finir leur histoire.
Jean, que nous avions laissé difficilement remis d’une tourista brutale, avait choisi de s’installer au fond du 4×4, pouvant ainsi dormir presque tranquillement. Il faut dire que Jean, en plus d’avoir l’estomac fragile, n’aime pas trop les routes escarpées, et qu’il trouve la conduite marocaine pas du tout, du tout sécuritaire (ce qui est tout à fait vrai).
Marcelline, elle est montée à l’avant, à côté d’Abdel, qui lui met des cassettes. Des chansons marocaines, un peu bizarres, elle n’aime pas beaucoup, et elle lui demande si il n’a pas autre chose que de la musique arabe … ça fait beaucoup rire Abdel, qui lui explique qu’il est berbère, c’est de la musique berbère, pas arabe, ce n’est pas du tout pareil, il y a plein de très belles musiques berbères, et d’ailleurs il a un ami qui a un groupe et qui fait des chansons, et … hop, il change la cassette.
Ça plait beaucoup plus à Marcelline, qui le lui dit. Elle va l’entendre jusqu’à la fin du séjour, au moins sept ou huit fois par jour, Abdel lui fera entendre la cassette « c’est ta musique« , et puis la glace est rompue, et Marcelline et Abdel commencent à bien discuter, pendant que Jean essaye de dormir, il est malade à cause des tournants.

A l’arrivée à Ouarzazate, Jean est heureux, la rue centrale – qui s'appelle, comme dans beaucoup de villes, l'avenue Mohamed V – est bien droite, l’hôtel est propre et pas trop bruyant, et finalement, il s’est bien reposé pendant le trajet. Marcelline et lui sortent rapidement, et vont explorer le souk et la partie « commerçante ». Le souk est nettement plus tranquille qu’à Marrakech, et les appels à la gazelle sont moins insistants. Jean et Marcelline commencent à vraiment apprécier leur voyage.
Les excursions, organisées depuis le Canada, vont leur permettre de visiter la région. La nuit dans le désert, sous les étoiles, à Merzouga, est le point d’orgue du voyage. Abdel leur propose de changer le programme :
Tout ça c’est bien pour les touristes, mais vous c’est pas pareil, il faut que vous découvriez vraiment le pays. Pourquoi vous ne viendriez pas chez moi, dans la famille ? On n’est pas à Merzouga, mais on peut continuer après au lieu de rentrer à Ouarzazate, comme ça vous allez découvrir la vraie vie marocaine authentique.
Marcelline et Jean hésitent un peu, ils ont peur de ne pas pouvoir annuler les chambres réservées à l’hôtel, mais la proposition les tente vraiment énormément. Et Abdel se charge de tout, le propriétaire de l’hôtel est un ami…
Finalement, on se décide. Je vous passe la nuit à Merzouga, ceux qui y sont passés savent comment c’est. Après avoir souffert sur le sable dur sur lequel ils ont tenu à passer la nuit, pour profiter des étoiles, et pris un petit déjeuner reconstituant, Marcelline et Jean montent avec Abdel, direction… chez lui.
Chez lui, c’est un tout petit douar, une petite maison de terre dans le petit douar, dans un petit village entre Rissani et Zagora, avec une petite palmeraie, et des champs peu irrigués, qui semblent faire pousser seulement des pierres. Abdel a fait une bonne provision de bouteilles d’eau minérale, pour être sûr que tout se passe bien. Il a bien vu que ses « amis » ne sont pas bien accoutumés aux bactéries marocaines !
En entrant dans la petite pièce obscure et protégée du soleil qui sert de salon à la famille, chaleureusement – semble-t-il, puisqu’elle ne comprend pas la langue – accueillie par la grand-mère, la mère et toute la famille d’Abdel, Marcelline a la curieuse impression d’entrer dans une sorte de paradis hors du temps, un monde préservé des distributeurs automatiques de boissons, des interdictions de stationner, des soap opéras et des dépanneurs, un monde idyllique, sans formalités administratives, déclaration d’impôts, un monde « vrai et authentique« , qu’elle hésite à pénétrer, de peur de ne pas en être digne.
A cet instant, Marcelline va commencer à détester la modernité, et la simple idée de repartir à Montréal dans trois semaines, retrouver la rue Sainte Catherine et la climatisation.
La journée est un peu compliquée. Marcelline est happée par le groupe des femmes, et Jean a du mal à comprendre qu’il ne doit pas les rejoindre. Il trouve bizarre qu’Abdel puisse être dans la même pièce que les femmes, et pas lui. En plus, il se sent un peu seul avec les deux seuls hommes restés à la ferme ce jour-là, deux vieillards qui baragouinent mal quelques mots de français. Et les explications d’Abdel « ce sont les femmes de ma famille, toi tu es un étranger, c’est nos coutumes, il faut que je sois là pour traduire sinon je ne vais pas avec les femmes » ne le convainquent pas. Il est un peu jaloux, il aimerait bien, lui aussi, avoir son traducteur, voire sa traductrice.

Marcelline est charmée de sa journée. Les femmes l’ont habillée « à la berbère », avec une superposition de tissus colorés en dentelle, chinois (mais ça Marcelline l’ignore) et un grand châle de coton noir brodés de laines colorées, au dessus d’un foulard rouge serré sur ses cheveux, parfaitement assorti à la couleur de son coup de soleil sur le nez, qui fait quand même un peu étrange au-dessus de ses lunettes de soleil…
Abdel lui dit « maintenant tu fais partie de la famille, tu es Fatima-berbère, tu es comme ma soeur ».
Le soir, Jean, Marcelline et Abdel dînent avec « les hommes », la grand-mère et la mère d’Abdel et deux autres femmes âgées, sans doute des tantes… Jean n’arrive toujours pas à comprendre la séparation des genres, pourquoi peut-il dîner avec des femmes mais pas avec « toutes les femmes ».
Abdel lui explique que les femmes ne seraient pas à l’aise, ils sont des berbères, ils n’enferment pas les femmes, mais elles se sentent mieux entre elles. Il ne lui précise pas que les « autres » femmes sont en réalité en cuisine, à servir les hommes, et qu’elles mangeront après.
Après le repas, Abdel leur propose de dormir sur la terrasse, sous les étoiles. Il les rassure : ils ne seront pas dans les mêmes conditions qu’à Merzouga, il y a des matelas épais, des tapis… Jean et Marcelline se laissent tenter, et passent une longue partie de la nuit à fumer et à discuter avec Abdel.
Jean, qui exerce le métier de comptable au Québec, s’intéresse à l’économie locale. Il cherche à comprendre comment Abdel gagne sa vie, ce que lui rapporte son métier de guide, les autres sources de revenu de cette grande famille.
Abdel, se plaint avec dignité
La vérité, c’est trop dur. Ici dans le sud, on travaille même pas six mois par an. Le reste du temps, c’est les petits boulots, mon patron ne me déclare pas, si je suis malade je n’ai rien. Si au moins j’avais un 4×4, je pourrais faire chauffeur à mon compte, je ferais ma société de transport touristique, quand ce n’est pas la saison ici, je ferais les villes impériales. Un 4×4 ça gagne bien, ça se rembourse en deux ans, mais je n’ai trouvé personne pour me prêter l’argent, je ne peux pas l’acheter.
Tu vois, le problème, ici on n’a rien, on est condamnés à émigrer pour faire vivre la famille. Mais c’est difficile. Moi je ne veux pas émigrer, je veux rester chez moi, dans mon pays.
Marcelline en a les larmes aux yeux. Jean commence à compter, et se dire qu’un investissement dans un 4×4 serait moins risqué que dans un riad, leur permettrait de revenir. Mais peut-il faire confiance à Abdel ?

La suite au prochain numéro, j’espère plus rapidement…
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2 commentaires
Cette histoire me parle !! Tellement hâte de lire la suite !!!…. Merci !
Très réaliste, on s’y croirait !
Vivement la suite du feuilleton.
La chasse au pigeon dans le désert ?