Je ne me cache pas de ne pas vraiment apprécier le Rallye 4L Trophy, tout au moins son green-washing agressif, et encore plus son argument soi-disant humanitaire. Aujourd’hui était le dernier jour de l’édition 2012, et nous avons vu passer à travers Ouarzazate les files de petites voitures, en route vers Marrakech pour le gala de clôture du rallye.

L’édition 2012 a été pour nous un peu différente, puisque nous avons un peu participé, en aidant un équipage à monter une action pour l’Eco Challenge qui est organisé en plus, chaque année.
Un éco-challenge original
Il y a quelques mois, nous avons été contacté par Nicolas Crestin, un élève ingénieur-agronome qui souhaitait faire « quelque chose de différent » pour son éco-challenge. Bien sûr, il avait lu notre article, et je crois pas mal discuté avec des participants, mais c’est justement ce que nous disions qui l’intéressait, et il avait envie de faire autre chose que distribuer des ramettes de papier.
En quelques mots, son projet était d’apporter des graines sélectionnées par une association, Kokopelli, pour les adapter aux conditions particulières du sud du Maroc, et arriver, au bout de quelques années, à développer des nouvelles variétés demandant peu d’eau. Une idée qu’on adore, mais… il fallait trouver à qui donner ces graines ! Pas simple, surtout en prenant en compte les contraintes du rallye.

Trouver le bon partenaire
La recherche agronomique n’est pas très développée au Maroc, et surtout dans les villages, il est très difficile d’innover en matière agricole. Les techniques traditionnelles, l’irrigation, ne sont pas remises en question, et il fallait donc trouver, a priori sur le trajet du 4L, une ou plusieurs personnes qui auraient à la fois les moyens et la volonté, sur la durée, de suivre un tel projet (les associations qui participent demandent effectivement un compte rendu régulier).
Or ce genre d’action se fait en général en s’installant sur place, et en prenant le temps de discuter avec les agriculteurs. Cela permet à la fois de comprendre leurs vrais besoins, et surtout de leur montrer qu’on les comprends, et qu’on n’est pas
un gars de la ville d’Europe qui arrive en se croyant plus intelligent que tout le monde pour révolutionner ce qu’on sait faire depuis des siècles.
C’est là qu’on voit à quel point l’association « rallye / humanitaire » déshumanise, en réalité, beaucoup de choses.
Le deuxième problème étant que l’itinéraire du rallye n’était pas connu à l’avance. Cela limitait donc la recherche à des localités dont nous étions raisonnablement sûrs qu’elles seraient sur le trajet du rallye.
Nous nous sommes décidés pour Ouarzazate. Malheureusement, l’Association Horizons, qui a été contactée en premier, et qui dispose d’une grande ferme, ne pouvait pas prendre en charge ce projet. D’autres n’en voyaient pas l’intérêt… le partenaire idéal a finalement été trouvé avec l’écolodge Sawadi, dans la palmeraie de Skoura.

Partenaire idéal, car Sawadi, c’est un écolodge, certes, mais c’est aussi une ferme, qui produit notamment de l’huile d’olive, de l’huile de calendula, et plein de bonnes choses. Et surtout parce que Catherine, qui gère l’écolodge avec Philippe, a une véritable expérience dans le domaine, et avait déjà été en contact avec Kokopelli.
La remise des graines
Comme le rallye ne passait pas par Skoura, le rendez-vous a été fixé à Ouarzazate, devant le Palais des Congrès. Catherine et moi attendions patiemment, en regardant passer les différentes 4L, en plus on les voyait arriver de loin avec leurs phares allumés en plein jour… quand finalement « la nôtre » s’arrête, et en sortent deux étudiants, visiblement un peu fatigués, bien « sableux », mais aussi visiblement heureux et sympas.

On ne voit pas trop le sable sur la photo, mais ils avaient bien les vêtements de baroudeurs qui prennent peu à peu une couleur « indéfinie » dépendant des proportions du mélange sable – terre – poussière incrusté dans les fibres. J’ai immortalisé le moment solennel de la remise du colis de graines (il ne manquait que le tapis rouge et les tambours)

avant que nous nous précipitions pour ouvrir le paquet qui contenait une centaine de sachets de graines diverses et variées (tomates, pastèques, courges, piments…)

En y réfléchissant, celui qui ne savait pas ce que nous faisions aurait pu avoir des doutes….
On a eu le temps de discuter un petit quart d’heure, et d’échafauder des projets de retour (pour passer plus de temps dans le désert), mais l’équipage devait attendre d’autres voitures avant de continuer la route sur Marrakech. Je me suis permis de prendre deux sachets de graines de piment, dont nous vous donnerons régulièrement des nouvelles. En effet, les associations qui donnent des graines demandent un retour, et si cette expérience vous intéresse, vous trouverez régulièrement des nouvelles de nos pousses ici, sur le site de Sawadi ou sur celui de Nicolas et Aurélie.
Après avoir déjeuné avec Catherine, dans un petit restaurant près de la Kasbah de Taourirt, nous avons vu encore de nombreuses 4L garées avenue Mohamed V. Cela devait leur faire plaisir de pouvoir enfin s’offrir une pause tranquille au soleil, après avoir souffert du froid à certains endroits du parcours (notamment un haut plateau avant Middelt).

Finalement, l’éco-challenge n’a pas été enregistré
Nous n’avions pas communiqué là-dessus à l’époque, car Nicolas et Aurélie avaient encore un espoir d’arranger les choses, mais Deloitte a refusé leur dossier dans le cadre de l’éco-challenge. Pourquoi ? Parce qu’à l’époque les graines Kokopelli étaient interdites de vente en France, et que Deloitte ne voulait sans doute pas que son nom soit lié à une association qui faisait la une pour avoir perdu un procès lié à cette problématique. Malgré tous les efforts de Nicolas, expliquant que la vente de ces graines était parfaitement légale en Afrique (ce qui, en fait, au Maroc, n’était pas exact), et surtout qu’il s’agissait uniquement d’un don, proposant de ne pas citer du tout Kokopelli… Deloitte a simplement fait le mort, sans répondre, et sans valider un projet pourtant parfaitement écologique – et qui, je crois, aujourd’hui passerait sans problème.
C’est d’autant plus absurde que Nicolas et Aurélie avaient été dirigés vers Kokopelli par Pierre Rahbi, qui est présent au Maroc depuis le milieu des années 2000, avec trois projets à Meknès, Taroudant et Dar Bouazza.
Que sont devenues les graines ?
Sur la totalité des paquets, j’en ai gardé 4 ou 5, qui ont été envoyés dans l’Oasis de Mezgarne, que nous gérions à l’époque. Et sur les 4 ou 5 paquets, une dizaine de graines de chaque sorte, que j’ai planté en pots de fleurs à Ouarzazate. Tout le reste est parti chez Sawadi, où Catherine et Philippe en ont fait bon usage. Les plantes de Mezgarne sont mortes un été où le puits s’est bouché et n’a pas été réparé assez vite. Le jardinier ne voyait pas l’intérêt d’arroser ces plantes un peu bizarres. Quant à mes pots de fleurs, ils m’ont suivie jusqu’à El Jadida, et ils ont énormément soufferts lors de mon déménagement à Casablanca.
A mes yeux, un échec
Cette tentative m’a confortée dans ce que je pensais de l’aspect soi-disant humanitaire et rencontre du rallye. Que la véritable rencontre prend du temps, ce qui est incompatible avec un rallye. Que l’humanitaire sans rencontre déshumanise. Aujourd’hui j’ai une vision encore plus négative de ce grand-guignol de communication et de mise en scène d’une générosité qui est sans doute réelle pour un certain nombre de participants, mais exploitée au service d’une organisation commerciale.
Et sinon, après avoir fini ses études, Nicolas est parti faire un grand voyage de dix-huit mois, sac à doc et chaussures de randonnées…
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