Entre les discussions ici, et sur des forums de voyage, je viens de réagir, plusieurs fois en trois jours, à une vision que je trouve un peu idyllique du tourisme, comme vecteur d’échanges humains, presque philosophiques, le tourisme ne devant pas trop être considéré comme une activité économique, pour ne pas oublier son aspect humain, le touriste devant « dépasser un simple client », le voyage n’aurait plus d’intérêt s’il ne permettait pas de se faire des amis partout et devenir un citoyen du monde.
Il me semble qu’il y a là dedans pas mal de mélanges et d’illusions.
Le client est roi
D’abord, être « un simple client » c’est déjà énorme. Le client est roi (chose que je n’entends pas très souvent au Maroc, c’est vrai), le client est la personne qui me fait vivre, chaque client doit être traité du mieux possible, un simple raté peut mettre notre réputation en péril et casser le travail de plusieurs années.
Le client se traite avec respect. Qu’il ait pris une chambre dans un riad pour 500 euros la nuit, ou dans un petit hôtel à 30 euros, il a droit au même respect, à la même satisfaction de ses exigences, à la même qualité de service : je dois faire de mon mieux pour lui donner ce qu’il a acheté, et même un peu plus.
En ce sens, je dirais qu’un client est plus qu’un ami. Un ami excusera nos faiblesses, pas un client.
Peut-être considère-t-on les touristes un peu trop comme des amis à certains endroits…
Avoir une vision économique du tourisme ne veut pas dire qu’on considère les clients comme des marchandises, ou des objets. Les clients sont toujours les clients, et les acheteurs. A la limite, la marchandise ce sera nous, le prestataire touristique. Mais considérer le client comme une chose, ce n’est pas avoir une vision économique, c’est une connerie. Il faut simplement se rappeler qu’entre un touriste et un guide/hôtelier/chauffeur il y a une relation inégale de donneur d’ordre à prestataire, de client à fournisseur…
Le client n’est pas non plus un ami
Il peut arriver, à titre exceptionnel, qu’il le devienne, mais il est avant tout une personne qui a payé pour une prestation de service.
Et dans cette prestation de service, il peut y avoir l’hospitalité marocaine, l’entrée dans une famille, surtout quand le client est curieux de l’autre, et a envie d’un voyage autre que « bronzette – piscine ».
On entre là dans les eaux un peu imprécises de l’hospitalité, de la conception de l’amitié, et de l’illusion, aussi, du touriste, qui va croire, parfois, en une journée, avoir trouvé un ami, au fond d’une kasbah, avoir vécu un moment "authentique", dont l’authenticité est répétée chaque jour avec des personnes différentes, qui passent pour quelques heures, comme lui.
Parce que les codes sont différents, parce que l’hospitalité chaleureuse que le marocain offre à tout le monde est celle que nous réservons à nos proches, Parce qu’en vacances on est disponible, pour une rencontre qui sera de passage. Parce qu’un ami, au Maroc, c’est un copain chez nous, et que les mots n’ont pas la même portée, l’ami c’est la personne qu’on a rencontré et qui vous a donné son numéro de téléphone.

Désillusions mutuelles ?
Après viennent les désillusions. Celle du touriste, qui peut se rendre compte que ce qu’il croyait être hospitalité désintéressée était un service, ou bien quand, au moment de quitter la maison où il a bu le thé sur invitation, on lui demande, plus ou moins diplomatiquement, un pourboire, de l’argent, d’acheter quelque chose, quand l’enfant qui l’a si gentiment guidé dans le souk lui demande un euro et le quitte sur une injure si il refuse. Et ne parlons pas des désillusions des femmes qui ont cru en une amitié se transformant en amour, ceci est une autre version de la même histoire.
La désillusion arrive aussi dans l’autre sens. Combien de fois nos chauffeurs ont-ils été déçus de ne pas recevoir de réponse aux courriers envoyés aux touristes ? Bien sûr, ils avaient laissé l’adresse, Mais sans prendre ensuite la peine de répondre. Je me souviens notamment d’une fois où Toufik, qui accueille les clients à l’Oasis, avait envoyé, à la demande d’une cliente, un caftan en Allemagne. Rien, pas de réponse. Comme je repartais, il me confie un deuxième paquet (toujours acheté de ses propres deniers), avec l’adresse.
J’envoie, rien, pas de réponse, ni de retour du colis, je finis par chercher le numéro de téléphone, et appeler la famille en question. « Ah oui, on l’a reçu, dites lui merci ».
J’avoue avoir été assez désagréable, et encore, ils ont de la chance que je parle mal allemand. Et nous avons eu de la chance que Toufik les prenne comme une exception, et ne décide pas, après cela, de « presser le citron ».
Mais dans un sens comme dans l’autre, ces exemples sont monnaie courante, et la rançon du mélange des genres.
L’amitié au pays du Petit Prince
L’amitié – pas le copinage, pas la camaraderie – est un sentiment qui met du temps à se développer. Si vous êtes « Occidental » (Européen, Nord-Américain…) ce n’est pas un mot que vous utilisez au bout de cinq minutes.
Si les sentiments d’amitié existent, bien entendu, au Maroc, ils ont besoin, comme partout ailleurs dans le monde, de temps pour se développer. C’est la leçon du Petit Prince, le livre écrit par Saint-Exupéry qui se passe au coeur du Sahara marocain qu’il aimait tant. « Tu deviens responsable pour toujours de ce que tu as apprivoisé » dit le Renard.

Vous trouvez que je pars dans des grandes dimensions philosophiques ? Peut-être. Mais cela fait du bien de remettre les choses à leur vraie place.
Le touriste est un client, et comme tel c’est la personne la plus importante au monde. Dans le cadre d’un échange économique, qui peut, éventuellement, rarement, déboucher sur une véritable amitié.
Cela n’empêche pas l’échange, la discussion, la découverte mutuelle. Cela évite juste les malentendus.
Une question toujours d’actualité
Depuis 2008, le tourisme s’est professionnalisé – énormément – au Maroc, les attentes ont changé, le tourisme « industriel », en bulle, est en berne.
Pourtant ou, au contraire, à cause de cela, pour beaucoup de gens, les frontières floues dont je parlais en 2008 sont de plus en plus fumeuses.
On voit sur de nombreux groupes Facebook des Marocains qui proposent « d’accueillir » des voyageurs chez eux, dans leur village dont ils montrent des photos idylliques. Sans préciser du tout que cet accueil est bien entendu tarifé. L’avantage est double pour eux : échapper aux législations sur le tourisme et aux comparaisons de prix.
Sur ces mêmes réseaux sociaux, des Marocains sont en chasse permanente : fini la chasse à l’invitation mentionnée dans un des commentaires à la parution de cet article, on cherche désormais l’histoire d’amour, celle qui permettra de partir. Ou l’histoire d’amour qui permettra de disposer d’une rabatteuse amenant des clients à son « ami ».
Le développement des chambres d’hôtes, puis des AirBnB, a augmenté la recherche d’hébergement chez l’habitant, ou au moins du thé dans la famille. Activité touristique louable, mais qui n’a rien à voir avec l’amitié et pas tant que ça avec l’authenticité.
Malheureusement, la qualité de la prestation ne suit pas. Encore plus qu’avant, le client n’est pas roi.
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5 commentaires
Mais quand on invite pour avoir des certificats d’hébergement, après plus rien, l’amitié a des limites.
Il faut pas miroiter ni abuser.
Le toursite est roi comme d’autres clients dans tous les domaines.
reste à apliquer ça aussin dans le tourisme sud-nord.
> Mais quand on invite pour avoir des certificats
> d’hébergement, après plus rien, l’amitié
> a des limites.
L’invité est-il averti de l’intention de celui qui invite ? C’est clairement non . On parle tellement de l’hospitalité Marocaine que celui qui est invité (des fois un peu forcé) pense que c’est dans cette optique que l’invitation se fait.
Un petit exemple , un monsieur à Marrakech, choisit une place où bcp de touristes vont s’asseoir , il a un plateau avec des gâteaux , il accoste les touristes assis et leur offre un gâteau, bcp n’en veulent pas , mais il insiste « c’est gratuit, dit-il » ; et même gratuit, on n’en a pas forcément envie . Il insiste lourdement, et certains touristes acceptent de goûter ! .
De suite, il demande une contribution , les gens sont gênés mais ne peuvent lui refuser une contribution, ils se regardent et finssent par céder : ce qui est incroyablement rusé , c’est que ces gâteaux, dans le commerce valent 2 dh ! puisque c’une contribution, les gens donnent au bas mots 5 ou 10 dh le gâteau ! . Je ne suis pas certain que ces touristes garderaient un bon souvenir de ce moment : bien entendu ce ne sont pas les quelques dirhams qu’ils ont donné qui vont faire date, mais la façon dont ils ont été appréhendé ! c’est dans ce sens que cet exemple a son intérêt .
C’est un peu comme celui qui invite avec l’intention – il est le seul à le savoir – de s’attendre à quelque chose – comme un certificat, si on prend l’exemple de Fatah –
Mais l’invité, a t-il toujours les moyens de fournir un certificat d’hébergement ? a t-il les moyens de faire venir un étranger en France ( pour ne parler que de la france) ?
Les optiques différent, le touriste , souvent , cherche un endroit pour se ressourcer , rassembler ses forces, car lui même croule sous un tas de problème : difficultés au travail, difficultés de couples, difficultés de factures , surmenage …
Il n’est pas étonnant de voir certains , retournés chez eux après les vacances, oublient tous les contacts et gens à qui elle/il a filé son adresse ou numéro de tél. De plus, pour peu que ce touriste se soit un peu emmerdé ( même s’il n’en dit rien ou même prend cela à la rigolade sur le coup )dans son séjour : un taxi qui fait d’énorme détours, qui lui demande plus que ce qu’il a lu dans le guide des routards ou par les conseils des vendeurs de vacances …) de retour chez lui , ce ne sont pas des bons moments de détente et de décontraction qui remontent ( on peut tjs trouver des gens ou des vendeurs de vacances – normal , ils font leur job – ,qui vendent encore ce Maroc de rêves fait d’hospitalités et de chaleur, il n’empêche qu’eux mêmes adaptent les séjours en fonction de ces mêmes difficultés etc …), mais ce qu’il a pu vivre de désagréable . Moralité, les européens se sont trouvés la combine : profiter des biens faits du Maroc et jouissent pleinement de leurs vacances en choisissant les formules Riads, Maisons d’hôtes, circuits touristiques , location de maisons ou appart saisonnière dont la majorité sont la propriété d’européens : Ces touristes ont la certitude d’avoir le transport qu’il faut, la détente qu’il faut, le service qu’il faut, l’hygiène qu’il faut ( sans être forcément dans le grand luxe) et ils ont également les moments libres pour la culture locale , pour se frotter y compris au taxi qui arnaque , et ces moment là même ces emmerdes feront partie des vacances puisque vécues à petites doses .
Le retour du bâton pour les locaux, c’est qu’ils n’en profitent pas de cette manne touristique ! Mais c’est de leur faute ; à force de trop tirer sur la corde, l’autre partie, les touristes , ont su trouver des créateurs qui ont compris leur recherche de bonheur dans un pays de chaleur – au sens large – .
Une organisation méticuleuse a vu le jour ces dernières années : bcp d’européens ont su trouver le moyen d’éviter les désagréments qui peuvent faire de leur paradis un “enfer”: ainsi il n’est pas rare de croiser un européen avec une remorque faite “main” pour transporter ses effets, ses quads, ses outils, ses courses pour ses lieux de touristes et même pour transporter les matériaux pour la construction . Ce n’est pas de gaieté de cœur que ces choses ont été conçues, ni pour faire des économies – j’en suis certain on aurait préféré sous traiter pour gagner du temps – mais par nécessité : quand on prend un transporteur, les risques sont nombreux : il peut ne pas être à l’heure, il peut faire faux bond à la dernière minute -sans avertir- car il a trouvé un client qui paye mieux ou parce que c’est une connaissance; il peut au moment de charger ce qu’il a à charger vouloir renégocier le prix sous prétexte qu’il ne savait pas que c’était si loin ou ne savait pas qu’il y avait autant à transporter avec à la clef la menace d’abandonner l’affaire – et il peut le faire – ; C’est courant aussi, qu’il demande plus que le prix convenu au moment du règlement sous prétexte qu’il a des ceci et des cela – attention, il ne demande pas qu’un petit supplément, car si vous donnez un petit pourboire il peut vous le jeter à la figure invoquant son honneur : “je ne suis pas un mendiant , dira t-il” … Mine de rien ces désagréments, sont extrêmement préjudiciables : c’est toute l’organisation qui est mise à mal, c’est la concentration qui est fichue, c’est une fatigue physique et morale .
Bien sûr il y a des gens réglo : mais ils sont tellement peu qu’ils sont noyés dans le reste.
Il va de soit que cette analyse , n’est pas du goût de tous et ce n’est pas ce qui s’écrit , globalement . Mais elle est inspirée du terrain.
Le touriste sait bien que quand on l’invite, c’est quand attend quelque chose derrière, il n’est pas rare que des familles marocaines invitant des touristes, leur annoncent autour d’un couscous q’un membre de la famille a besoin d’argent pour une opération
Le tourisme est avant tout un business, que cela plaise ou non et en ce sens le client est bien évidemment en droit de recevoir les services qu’on lui a fait miroiter avant qu’il ne s’engage.
Il y a aussi de la place, au Maroc comme ailleurs, pour tout une gamme de tourisme allant de la formule Paris-Paris tout compris ou l’on chante la danse des canards, jusqu’au voyage d’aventure et de découverte d’un autre continent, d’une autre culture, ou tout simplement d’autres êtres humains.