Bien sûr, il n’était pas marocain, mais égyptien. Mais c’était un grand écrivain, un francophone (plutôt rare pour un égyptien), et ses romans font partie des livres qui m’ont donné envie de traverser la Méditerranée, bien avant de le faire, quand je lisais pendant les cours, en cachette du prof, un livre ouvert sur les genoux.
Les personnages qu’il décrit, petites gens vivant entre humour, dérision et désespoir, dans une mégalopole nord-africaine sont si proches de ceux qu’on peut trouver à Casablanca ou Tanger qu’il suffirait de changer quelques noms de rues, quelques expressions dialectales, pour se retrouver chez nous.

La philosophie cynique et légère de Mendiants et orgueilleux, ou le désespoir des habitants de La maison de la mort certaine sont toujours les mêmes, à croire que près de soixante ans après, rien n’a changé.
Ce vieux Monsieur élégant hantait le quartier Saint Germain et je l’ai sûrement croisé de nombreuses fois, sans le savoir, rue de Buci où je faisais mon marché de victuailles tandis qu’il regardait les hommes vivre. Il avait été fort beau dans sa jeunesse, et avait même été, quelques années, l’époux de Monique Chaumette qui sera ensuite la femme de Philippe Noiret.
Albert Cossery avait érigé en art la fainéantise et prétendait ne jamais rien faire. Il chante cette paresse et ce fatalisme dans ses livres. Je vois comme un clin d’oeil que Philippe Noiret ait tenu le rôle principal du film « Alexandre le Bienheureux » qui est un autre éloge de la paresse.
C’était une fausse paresse. Albert Cossery prétendait n’écrire qu’une ligne par jour, pour qu’elle soit parfaite, porteuse
d’une densité qui percute et assassine à chaque nouveau mot
Minimaliste avant l’heure, Albert Cossery ne possédait que ses vêtements, ses rêves, sa langue et son art.
« Voilà un homme selon mon cœur », pensa-t-il. Cette boutique vide et cet homme qui ne vendait rien étaient pour lui une trouvaille inestimable. La boutique, Gohar le devinait, représentait simplement un décor ; elle lui servait pour recevoir ses amis et leur offrir une tasse de café. C’était là le comble de l’opulence et de la générosité. Gohar le salua comme une vieille connaissance et l’homme répondit à son salut avec un sourire suave, à peine perceptible, comme s’il comprenait qu’on l’admirait.
— Honore-moi, dit l’homme. Daigne accepter une tasse de café.
— Merci, dit Gohar, une autre fois. Je m’excuse.
Ils se regardèrent un instant avec un plaisir visible, presque avec tendresse, puis Gohar reprit sa marche à travers la foule. Il était parfaitement heureux. C’était toujours la même chose : cet émerveillement qu’il avait devant l’absurde facilité de la vie. Tout était dérisoire et facile. Il n’avait qu’à regarder autour de lui pour s’en convaincre. La misère grouillante qui l’environnait n’avait rien de tragique ; elle semblait receler en elle une mystérieuse opulence, les trésors d’une richesse inouïe et insoupçonnée.Mendiants et Orgueilleux
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2 commentaires
Jabès est un de mes auteurs fétiches. Une perle à emporter dans le sac à dos et à savourer dans le désert.
Je ne l’ai pas encore lu, mais ton billey ainsi qu »un éloge dans le Monde des livres m’ont donné envie de le découvrir.
Il parait qu’il avait la plume difficile, il écrivait une phrase par jour. Signe d’une plume exigeante et certainement belle.
Il y a un autre écrivain francophone d’origine égyptienne, c’est le poète Edmond Jabès. Lui aussi a une écriture qui fascine.