L’Aïd se vit différemment dans les grandes villes et à la campagne. Chaque année, la « grande migration » voit des centaines de milliers de Marocains quitter les grands centres pour retourner « chez eux », là où se trouve la famille. Et quelques uns d’entre eux, moins nombreux, vont passer un long week-end dans un hôtel.
Chaque année, donc, Casablanca se vide au moment de l’Aïd. Sauf bien sûr en 2020, à cause du confinement … enfin si quand même un peu. Et chaque année, pour les vacances, Casablanca se vide tout autant. Depuis mercredi, beaucoup d’habitants sont partis.
C’était aussi le cas l’année dernière, à la fin de la troisième semaine de juillet, Casablanca était encore plus vide.
Et pourtant, une chose est totalement différente.
D’habitude, autour de chez moi, on entend toujours les bêlements d’une dizaine de moutons répartis entre quelques immeubles proches. Les gens se font livrer leur mouton deux à trois jours avant, et on « profite » du concert des animaux pendant quelques jours.
En particulier, le gardien de l’immeuble parque son bélier dans la cour intérieure, sous les fenêtres de ma cuisine.
La chose totalement différente, c’est le grand silence de cette soirée d’avant l’Aïd.
Ce soir, je n’ai entendu qu’un seul mouton, assez éloigné. Mon gardien, qui a pourtant reçu de la visite de sa famille, n’a pas acheté de mouton. Et ce ne sont pas les « hôtels pour moutons » qui l’expliquent.
Bien sûr, j’ai vu des moutons se vendre dans les rues de Casablanca, transportés dans des Honda. Très tardivement, jusque vers 19 heures. C’est beaucoup trop tard.
Beaucoup de gens n’ont pas acheté de mouton cette année.
Parce que le mouton est cher, très cher
Alors qu’il coûte habituellement entre 2.500 et 3.500 dirhams, le prix du mouton a explosé, les tous premiers moutons, les petits, coûtent 5.000 dirhams, le prix moyen de la bête est à 6.000 dirhams.
Beaucoup d’éleveurs n’ont pas voulu miser sur l’opportunité de l’Aïd, comme on dit : trop de frais. Donc l’offre restreinte entretient les prix élevés.

On n’a pas vu non plus les publicités des banques proposant des crédits consommation pour acheter le mouton.
Parce que les banques ont des consignes strictes pour limiter leurs niveaux de risque. Parce que les gens sont de moins en moins solvables.
Avant, les Marocains n’avaient pas de problèmes à s’endetter pour payer le mouton. Il était plus important de ne pas perdre la face par rapport à ses voisins, d’offrir une fête à sa famille et à ses enfants.
L’interdiction religieuse du crédit et de la riba ne faisait pas le poids devant l’obligation sociale liée à la plus grande fête de l’Islam.
La crise est là. Beaucoup de gens sont pauvres, il y a eu le coronavirus, la hausse de l’essence, la sécheresse (qui augmente le coût de l’alimentation du mouton…), quand tous les voisins sont aussi pauvres que vous, il n’y a plus de honte.
Et puis comme mon chauffeur de taxi me l’a dit aujourd’hui
En septembre il y a la rentrée, ça fait beaucoup d’argent pour donner une éducation aux enfants, cette année je n’ai pas acheté de mouton.
Mais ce silence, ce soir, est bien triste. Je préférerais m’énerver un peu, comme chaque année, contre le bruit des moutons.
En tout cas, Bernard et moi vous souhaitons à tous Aid Moubarak, avec ou sans mouton.
En espérant que le partage se fera.
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