Le Ticad est un sommet qui se tient une fois tous les trois ans seulement. Le « Tokyo International Conference on African Development » était programmé pour ce week-end à Tunis, on attendait plus environ 5.000 participants et 30 chefs d’état.
Si le Japon n’est pas un des partenaires les plus importants du Maroc, l’impact du Ticad est important. Selon Afrimag, « les sommets Ticad, co-organisés avec les Nations Unies, la Banque mondiale et l’Union africaine, ont généré 26 projets de développement dans 20 pays d’Afrique« . Le Maroc n’y a pas participé…
« Am I the ass***e » pour avoir invité quelqu’un qui n’était pas bienvenu, contre l’avis de l’organisateur de la soirée ?
Transposons un peu, en dehors du cercle « politique ». Vous êtes invité à une soirée, organisée par un couple d’amis. Tout le monde sait qu’il y a une personne que vous ne voulez absolument pas rencontrer.
D’ailleurs, il y a à peine quelques jours, à l’occasion de votre anniversaire, vous avez dit publiquement que ceux qui étaient amis avec « l’affreux » n’étaient pas vos amis, il fallait choisir.
Et là, un des deux membres du couple, contre l’avis de l’autre, décide d’inviter « l’affreux » et, en plus, de le recevoir très chaleureusement et publiquement, avant le début de la soirée.
Donc vous vous fâchez, faut pas non plus vous prendre pour un idiot, et comme vous ne voulez pas voir « l’affreux », vous ne venez pas à la soirée.
Le problème, c’est que vous n’êtes pas vraiment le seul. Il y a les invités qui restent, mais qui disent que c’est vraiment dommage que vous ne soyez pas là, il y a aussi ceux qui partent avec vous.
Et là, le couple se retrouve avec une soirée ratée. Et celui qui ne voulait pas inviter « l’affreux » regarde l’autre de travers, sur le thème « je te l’avais bien dit » et « ne compte pas sur moi la prochaine fois ».
Un parfait IATA :) mais dans la vraie vie, quand cela implique des chefs d’état, des entrepreneurs de haut niveau, on se demande quelle mouche a piqué la Tunisie.
Le Polisario, invité indésirable imposé par la Tunisie
C’est donc ce qui s’est passé ce week-end. Alors que le 8° Ticad devait se tenir en Tunisie, du 27 au 28 août, le 26 août, Kaïs Saied, le président tunisien, a accueilli officiellement à l’aéroport de Tunis Brahim Ghali, chef du Polisario, qu’il a invité le 18 août, parait-il à la demande de l’Union Africaine.
Union Africaine que le Maroc avait quitté en 1984 pour protester contre l’intégration de la RASD dans l’Union en 1982 et réintégré le 30 janvier 2017. A l’exception du Somaliland, l’Union Africaine reconnait tous les « pays » africains.
Brahim Ghali a été accueilli avec les honneurs donnés à un chef d’état, donc, alors que M. Umaro Sissoco Embalo qui est à la fois le président de la Guinée Bissau et le président en exercice de la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), n’avait été accueilli que par la cheffe du Gouvernement.
Invitation qui a été envoyée en dépit des règles acceptées avant le sommet : seules les invitations signées à la fois par la Tunisie et le Japon devait être prises en considération.
Or le Japon l’a dit haut et fort : il n’enverrait pas d’invitation à un pays qu’il ne reconnait pas officiellement.
Portes claquées, plus ou moins diplomatiquement
Aussitôt, le Maroc annule sa participation au sommet et rappelle son ambassadeur à Tunis. La Tunisie rappelle son ambassadeur au Maroc.
Dans la foulée, le président de la Guinée Bissau (celui qui n’avait été reçu que par la cheffe du Gouvernement) quitte aussi le sommet.
Le Liberia a, quant à lui, appelé à la suspension de cette session jusqu’à résolution des problèmes relatifs aux procédures.
Le Sénégal regrette que ce rendez-vous de la Ticad soit marqué par l’absence du Maroc, un éminent membre de l’union africaine, faute d’un consensus sur une question de représentation. Le Burundi et la Guinée Équatoriale ont fait de même.
Quant au Japon, pays organisateur à qui on a forcé la main, il ouvre le sommet en reprécisant bien au sujet de l’entité que l’on ne saurait nommer :
la présence de toute entité que le Japon ne reconnaît pas comme un État souverain aux réunions liées à la Ticad 8, y compris la réunion des hauts fonctionnaires et la réunion au Sommet, n’affecte pas la position du Japon concernant le statut de cette entité.
Réactions choquées, jusqu’en Tunisie… dans les deux sens
Sur un sujet comme cela, nous nous méfions un peu du nationalisme marocain, mais cet article de RFI le confirme : l’opposition tunisienne a protesté, en particulier Moncef Marzouki qui a qualifié la réception du Polisario d’acte irresponsable et nuisible aux intérêts de la Tunisie.
Je vous invite aussi à lire cette discussion, initiée par Elyes Kasri, diplomate tunisien. Elle est très intéressante. Et mesurée.
Mais l’honnêteté pousse à dire aussi que le « Tunisien de la rue » n’est pas impressionné. Ressort souvent dans les commentaires le soutien du Maroc à la normalisation des relations avec Israël, signe d’une fracture qu’on pourrait résumer « pro Israel vs. pro RASD ».
Quel bénéfice à moyen terme pour la Tunisie et le Polisario ?
La Tunisie peut espérer que l’Algérie, en remerciement, lui fournisse du gaz cet hiver. Étant donné la crise énergétique qui s’annonce, ce n’est pas négligeable. C’est sans doute la même raison qui a poussé E. Macron a parler d’une « histoire d’amour entre la France et l’Algérie » (c’est aussi ce que disent les auteurs des violences conjugales).
Mais elle a aussi agit comme un gamin qui embarrasse tout le monde : arriver à déclencher un tel désordre diplomatique en quelques jours, c’est un exploit peu recommandable. Je ne sais pas quelles étaient ses relations avec le Japon, elles sont désormais mauvaises, mêmes si les accords économiques prévus ont été signés.
Surtout, le résultat escompté (imposer le Polisario) s’est retourné contre les auteurs de ce coup de force diplomatique : personne ne s’est exprimé en soutien de l’invitation controversée, le Japon a réaffirmé qu’il ne reconnaissait pas le Polisario et le Maroc a reçu le soutien de pays africains importants.
Le Maroc, quant à lui, a montré à quel point il était sérieux quand il affirmait que l’attitude vis-à-vis du Polisario était un marqueur dans ses relations internationales. Le « test » a été concluant : le Maroc ne recule pas.
Au delà des rodomontades marocaines et tunisiennes sur les réseaux sociaux, cette histoire « abracadabrantesque », comme disait un grand ami du Maroc montre clairement à quel point les crises, comme celles que nous traversons, peuvent impacter l’amitié entre les peuples.
En savoir plus
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