Deux livres totalement différents sur le Maroc, qui tous les deux m’ont prise dès la première page, sans me lâcher jusqu’à ce que je les ai refermés. Deux femmes parties vivre dans « l’autre pays »…
« Le temps s’en va… » par Eugénie Vidier
Publié chez Archives et Culture (ISBN 2-911665-84-8).
Sous-titré « Souvenirs de Provence et du Maroc » ce livre commence au détour du siècle dernier, en 1909, en Provence, pour se finir en 1956. C’est d’abord le père d’Eugénie, ouvrier bottier, qui part au Maroc, s’installe à Temara (à l’époque bien séparé de Rabat, dont il est aujourd’hui quasiment un faubourg) et travaille pour l’armée.
Il est bientôt rejoint par sa famille, dont Eugénie, qui vivra une enfance heureuse à Rabat, avant d’épouser pendant la guerre un officier des affaires indigènes.
Suit le récit de leur vie dans différents postes, Rich, Amougueur, Goulmima, Itzer, El Hajeb, Aknoul, Bab-el-Mrouj, M’semrir et Skoura.
Coïncidence, je suis passée faire des photos de l’ancien poste français, aujourd’hui la résidence du caïd à Skoura. La porte est bien ressemblante !

Ce que j’ai aimé dans ce livre, c’est la légèreté de ton alliée à la justesse des observations, le rendu d’une vie qui a à la fois beaucoup et peu changé (et si le goudron va jusqu’à M’semrir, par exemple, la piste qui suit est toujours bien dépendante de la météo…) un amour sincère pour ce pays et les gens qui ont partagé près de trente années de vie, l’absence de toute vision normative ou de tentative de réécrire l'histoire, dans un sens ou dans l’autre.
Eugénie a rencontré Ben Barka avant qu’il soit célèbre, et d’autres indépendantistes. Elle a traversé le Dadès à dos d’âne, elle a mangé des oeufs de sept ans sous la tente d’un caïd… elle parle de notre région, et elle en rend bien les couleurs et le parfum.
L’édition originale est épuisée, mais le livre se trouve relativement facilement d’occasion, notamment chez Amazon.
L’autre livre n’a rien à voir.
« Prière à la Lune » par Fatima El Ayoubi

Publié aux Éditions Bachari (ISBN 2-913678-26-2)
C’est un court recueil, une poésie simple, celle d’une marocaine en France, tiraillée entre sa tradition et son nouveau pays, perdue de devenir illettrée en français alors qu’elle était allée à l’école, souvenirs de là-bas, souvenirs d’ici, sans savoir où sont les plus tendres, ni les plus durs.
La lune, Ayour en berbère, est l’amie des nomades et de tout ceux qui vivent dans le sud du Maroc. Sa lumière est fraîche, à la différence du soleil trop brûlant, elle marque le temps, le début des mois, les périodes de jeûne et celles de fêtes.
La lune éclaire et guide, elle est discrète, comme cette Fatima qui s’adresse à elle, sans doute sans la voir tous les jours dans la pollution de nos grandes villes. Pour dire à une fille qu’elle est séduisante on l’appelle Tamayourt, plus belle que la lune… Un livre avec ces mots ne pouvait être écrit que par une marocaine, une femme du sud.
Toutes ces paroles ont été dites, en silence, devant la chaleur des regards posés sur moi. Regard de la lune, lointaine et si proche. La lune est un visage qui ne regarde que moi. Elle attend que j’ouvre ma fenêtre pour l’admirer. Je regarde en fait l’image de mon père qui m’encourage, de maman qui m’apprend la broderie, de ma belle-mère qui a toujours pris ma défense, de ma patrie qui m’a aimée avec dureté, du passé contre lequel je suis en colère, de mon médecin qui m’a écoutée, qui m’a aidée à libérer les paroles d’une jeune fille sans manières.
C’est le visage de tout ce que j’ai évoqué.
Ces paroles d’une jeune fille sans manières en ont suffisamment pour toucher, si l’on sait les écouter, avec attention, comme on peut voir beaucoup sous la clarté blanche de l’Ayour.
Fatima : les livres et le film
En relisant cet article pour le republier, j’ai découvert que Fatima El Ayoubi avait écrit un second livre « Enfin je marche seule » , qu’un film en avait été tiré en 2016.
J’ai découvert aussi les détails de sa vie, qui avaient été passés sous silence lors de la publication de son livre en 2006.
A l’époque, jeune mariée, je découvrais surtout le Maroc, le pays de mon mari. Ce n’est que plus tard que j’ai aussi découvert les vies de sa famille en Europe, les réalités de l’immigration.
Ce que cela voulait dire, concrètement, de savoir lire et écrire dans sa langue natale mais d’être illettrée dans son pays d’accueil. Ce qui serait mon cas, si le Maroc ne permettait pas aux francophones d’avoir une vie quotidienne un peu « hors sol », en français et sans arabe.
Tout cela pour dire que j’espère trouver son second livre, voir le film et vous en dire plus.
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Un commentaire
Eugénie Vidier (en fait Suzanne, veuve du capitaine Germain B., cousin de mon mari), dont vous aviez aimé le livre de souvenirs au point d’en faire l’éloge ici, vient de mourir à 89 ans.
Marie-Aude, j’ai pour la première fois des problèmes avec ma messagerie: si vous m’avez écrit récemment je n’ai rien reçu, cela ferait une perte de plus.
Et je ne suis pas sur facebook!