En parcourant mes archives, j’ai retrouvé une découverte faite il y a longtemps, sur le blog de Naïm un remarquable artiste tunisien, Dhafer Youssef, que j’ignorais totalement – et que j’avais oublié entretemps.
C’est un gros coup de coeur pour ce musicien et chanteur dont les oeuvres mêlent le jazz et des influences modernes à une base islamique et soufie.
De l’école coranique aux grandes scènes internationales
Il est né en 1967 dans un petit village de la région de Monastir, petit-fils d’un muezzin qui lui apprend à la fois le Coran et l’adhan (l’appel à la prière) et la musique religieuse, dont on reconnait partout l’influence dans ses morceaux. Enfant, il chante dans les mariages, il écoute aussi la radio et s’imprègne de tout ce qu’il entend : jazz, rock, musique classique, latino, etc. et essaye de reproduire les mélodies sur un jouet qu’on lui a donné, une guitare en plastique.
Il se forme au conservatoire de Tunis, où il apprend l’art du oud, puis en Syrie. De là il part à Vienne, où il étudie la musique classique découverte à la radio de sa jeunesse, puis New York et Paris, avant de rentrer en Tunisie en 2010.
S’il ne fait pas de politique directement ses amitiés, ses chansons, dont certaines s’inspirent d’Abou Nawas et chantent l’amour du vin, ses déclarations où il affirme ne croire ni en “une société parfaite”, ni en “une religion juste”, ni “au paradis” lui causent des difficultés au moment de la montée d’Ennadha.
Les titres de certaines de ses oeuvres font preuve de la même « fusion » religieuse que celle de sa musique, par exemple quand, au delà des musiques soufies, il fait référence aux chakras. Il reste croyant, persuadé que sa voix extraordinaire est un don de Dieu, qu’il doit utiliser.
Si vous êtes un musicien de jazz, c’est votre destinée, un point c’est tout.
Sa voix basse est tout ce que j’aime
Il me suffit de l’entendre commencer dans Yabay pour m’arrêter de travailler (d’où le temps que j’ai mis à rédiger cet article). Elle a, je trouve, une remarquable puissance et une tessiture impressionnante. Il arrive à monter dans les aigus avec une grande force, sans jamais crier ni utiliser une voix de tête.
Soupir Eternel c’est autre chose. On commence par quelques accords particulièrement calmes, qui montent peu à peu dans la gamme avant que le chant commence.
Là aussi, une mélodie calme, quasiment une méditation.Le souffle est là, avec des notes longuement tenues et toujours cette incroyable montée dans les aigus où la voix finit par se confondre avec l’instrument.
Dans celle-ci, le chant modifié par le poing sur la poitrine emporte dans un tout autre monde, celui des chants mongols, avant de revenir dans son univers.
Et là, on (en tout cas moi) est dans le ravissement pur, avec cet aigu si harmonieux :
Il a aussi des créations purement instrumentales, où ce sont les instruments qui imitent presque sa voix
Si vous voulez entendre ses morceaux « jazzy », vous avez par exemple celui-ci :
Il mélange sur scène les instruments traditionnels (comme son oud) et ceux du jazz, piano et percussions…
Dhafer Youssef et Ouled Ahmed
Et puis, dans ses multiples vidéos, je suis tombée sur celle-ci, qui m’a complètement scotchée aussi. Après un démarrage classique « à la Dhafer » … à la 29° seconde, tout change, avec le verbe puissant d’Ouled Ahmed, un poète tunisien.
Ce poète militant, de gauche, opposé à Bourguiba et Ben Ali, aura subi la censure une grande partie de sa vie. Natif de Sidi Bouzid, comme Mohamed Bouazizi, il mourra d’un cancer en 2016, quelques années à peine après le début du printemps arabe, non s’en s’être opposé avec la même vigueur aux extrémismes religieux.
On peut comprendre son texte en activant les sous-titres (ils sont de qualité, c’est une vraie traduction). Même sans rien comprendre, c’est la force de la poésie, ce texte émeut. .. et donne envie d’apprendre l’arabe !
Ce poème est « La République Inconditionnelle », dont voici la fin :
Peuple, si tu es un peuple grandiose
Vote pour toi même au moment crucial
Si tu es un peuple grandiose
Si tu convoites la soumission après l’humiliation
Prépare ta nation au coup fatal…
(On peut feuilleter des extraits d’un recueil de ses poèmes, traduits en français ou en anglais, ici).
Enfin, cette poésie d’Ouled Ahmed m’a évoquée une autre poétesse arabe, palestinienne, elle, dont les mots ont le même pouvoir, Farah Chamma :
Les sites de Dhafer Youssef
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2 commentaires
J’adore le site d’O-Maroc et je suis ravi d’avoir découvert la page dédiée à Dhafer Youssef ! Les articles sont si intéressants et bien écrits, j’y passe des heures à lire les dernières nouvelles sur cet incroyable artiste. Merci d’avoir créé cet espace dédié à sa musique, cela rend la navigation encore plus agréable. Continuez votre excellent travail !
Le blog de Naim figure parmi mes favori. Il évoque souvent sa ville de Safi. Bonne chance à ce blog !