Connaissez-vous David Serero ? A ma grande honte, jusqu’à la semaine dernière, « moi non ». Heureusement, un tweet m’a permis de le découvrir, lui et son projet un peu fou d’Opéra Royal du Maroc.
Je suis une grande fan d’opéra. Et ici, il n’y a pas. Juste les possibilités de spectacles en ligne, que ce soit chez soi ou au cinéma. Le Covid m’avait d’ailleurs permis de découvrir plein de possibilités, dont certaines sont toujours ouvertes.
Mais bien sûr, cela ne vaut pas l’expérience d’une représentation en salle, avec un public qui vibre avec vous.
Et ça, au Maroc, je ne l’ai jamais eu. Parce que l’opéra, ça coute cher et c’est a priori très éloigné de la culture marocaine.
L’opéra est « tout sauf » Marocain ?
J’ai donc été surprise en entendant David Serero expliquer que l’opéra pouvait être marocain, qu’il voulait mettre sur scène ce qu’il y avait de marocain dans l’opéra.
Parce rien dans la tradition musicale marocaine, que ce soit l’aïta, le malhoun, les gnawas ou les chants amazigh, rien ne se rapproche de l’opéra.

L’opéra c’est d’abord une façon de chanter, profonde, qui vient du ventre, des phrasés, des rythmes et des mélodies qu’on ne retrouve absolument pas dans ce monde de la musique « arabe » au sens large. Ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas de musique arabe, bien au contraire. Mais simplement qu’un Marocain, par rapport à ce qu’il a l’habitude d’entendre et d’apprécier, va être aussi désarçonné que moi devant un spectacle de théâtre nô ou les apsaras d’Angkor : c’est beau, mais je n’ai absolument pas les codes pour « entrer » dans le spectacle.
C’est aussi – théoriquement – un grand spectacle avec de nombreux instruments qu’on ne retrouve pas dans cette tradition musicale façonnée aussi par la religion qui n’admet, dans sa version la plus stricte, que les percussions, et quelques cordes, le luth (oud) en premier.
Alors comment faire aimer l’opéra aux Marocains ?
Ne pas oublier que l’opéra peut être populaire
Comme toutes les musiques, d’une certaine façon, l’opéra ça s’apprend si on veut l’apprécier. Il y a des tas de musiques qu’on « apprend » simplement par imprégnation en écoutant la radio. L’opéra, qui est un spectacle cher, qui nécessite une salle, un orchestre de musiciens classiques, etc. a une réputation d’art élitiste et on y est peu exposé, au quotidien.

En fait, l’opéra a été un art populaire. Connaissez-vous Verdi ?
Un de ses plus grands succès, Nabucco, casse tous les codes de l’opéra de l’époque. Son romantisme échevelé va bien au-delà de la pure qualité musicale et rencontre les préoccupations politiques des Italiens. Son nom deviendra d’ailleurs un symbole du nationalisme italien, puisque Viva Verdi voulait aussi dire Viva Vittorio Emanuele Re D‘Italia. (Paradoxal pour un auteur patriote mais républicain, dont Nabucco montre les risques de la folie d’un roi…)
Avec une musique, des sujets qui parlent aux Italiens, Verdi est un compositeur d’opéra immensément populaire. Une sorte de Céline Dion de l’époque…
David Serero, baryton et passeur de culture
Donc si on résume, pour que les Marocains aiment l’opéra, il faut que celui-ci leur « parle » dans tous les sens du terme, y compris la langue. Il faut aussi qu’on leur en parle. Et leur amour de la musique va faire le reste.
Faire du « Verdi pour le Maroc »
Ce que veut faire David Serero, c’est un produit « 100% marocain ». Avec des artistes marocains. Des textes traduits en marocain (comme il l’a déjà fait pour Othello), des mises en scène où la culture marocaine s’invite, avec des djellabas, des caftans … Pourquoi pas ? On présente bien les opéras du XVII° en costume moderne ?
« C’est mon savoir-faire »
Aider le public à découvrir l’opéra, lui faire apprécier en lui expliquant ce qui va se passer, présenter le meilleur du genre, c’est mon-savoir faire
David Serero est exactement la personne qu’il faut pour faire cela. S’il est chanteur d »opéra, c’est presque par hasard, et ce n’est pas sa formation. Pour lui, avant qu’il « tombe dedans », l’opéra c’était un « truc qui dure huit heures, allemand avec des chanteurs de 500 kilos« .
Comment devient-on chanteur d’opéra quand ce n’est pas votre culture ?
En commençant par jouer du piano, partir à New-York et faire du jazz. Se retrouver avec le poignet plâtré. Transformer la catastrophe qui frappe le pianiste en une occasion de faire autre chose : écrire des chansons et les chanter.
Se faire dire qu’on a une voix de chanteur d’opéra.
Passer par dessus sa vision des chanteurs obèses, aller écouter Turandot au Metropolitan Opera (un opéra italien, pas allemand, mais qui a souvent été chanté par Pavarotti, pas vraiment un poids plume).
Être tellement séduit qu’on y retourne le lendemain pour savoir comment devenir chanteur d’Opéra. Croiser James Levine et plonger dans cette carrière nouvelle pour laquelle d’autres chanteurs s’entraînent pendant des années.
Chanter, chanter et encore chanter
Il débute à 26 ans dans Carmen.
Ce boulimique de travail va désormais chanter les plus grands opéras (Carmen, Nabucco, Rigoletto, Don Giovanni, Le Marchand de Venise etc.) dans des salles prestigieuses que le Carnegie Hall.
Tous les registres du chant, et tout le reste
On pourrait croire que David Serero s’en tiendrait à l’opéra ?
Pas du tout.
Si le passage sur le territoire plus « léger » de l’opérette n’a rien de surprenant, il n’oublie pas non plus ses premières amours, monte des spectacles avec de grands chanteurs de jazz comme Jermaine Jackson (oui, le grand frère) qu’il va même produire en France, joue au cinéma, fait des spectacles d’humour, produit des films (un documentaire sur Hélène Grimault, un autre sur Elie Tahari, ce marocain devenu tailleur des stars aux Etats-Unis).

Auteur, aussi
David Serero va plus loin que la marocanisation d’œuvres existantes.
Il écrit en ce moment un opéra en darija, sur un thème exclusivement marocain, qui sera représenté dans quelques mois, au Maroc, avec sa troupe marocaine. Un opéra aussi populaire que ceux de Verdi, autrefois, en marocain du quotidien, comme Verdi composait sur un livret en italien !
L’opéra royal du Maroc
L’idée de monter une troupe d’opéra marocaine, au Maroc était en germe depuis longtemps, même si David Serero semble avoir le talent de faire tenir 48 heures dans une journée, il a fallu la période de calme imposé par le Covid pour que le projet puisse mûrir et aboutir à cette troupe.
Monter tout ça en moins de deux ans demande beaucoup d’énergie et aussi l’aide de nombreuses personnes ici, séduites par le projet. On compte parmi les soutiens le Ministère de la Culture, le C.C.M.E., la R.A.M., la municipalité de Casablanca…
Les chanteurs sont tous marocains, ayant fait leur formation et leurs premiers spectacles à l’étranger, mais attachés au Maroc, comme David Serero.
Le gala d’ouverture, 30 novembre
Le coup d’envoi c’est ce Mercredi 30 novembre, à 20 heures, au Studio des Arts Vivants.
Le programme est volontairement flou :
Des airs d’opéra et d’autres surprises
Surprises certainement dans la lignée de ses nombreuses activités !
Le choix du Studio des Arts Vivants s’est imposé : d’abord parce que c’est une très belle salle, aussi parce que l’esprit du lieu correspond parfaitement à ce que veut être l’Opéra Royal – un spectacle vivant, actuel et populaire, qui n’est pas figé dans une vision élitiste.
Le prix des places est aussi très raisonnable, pensé pour mettre la culture à portée de tous : 150 et 250 dirhams (pour comparer, les représentations retransmises en salle de cinéma, comme les spectacles du Metropolitan qui sont diffusés au cinéma Rif sont à 300 dirhams et plus.
Il reste quelques tickets qui peuvent être achetés en ligne, ici.
Après le gala d’ouverture
Une troupe, ce n’est pas un spectacle one-shot.
Il y a donc beaucoup de projets, comme je vous l’ai dit, dans quelques mois un opéra original en darija. Il y a aussi deux autres opéras prévus, Carmen et Othello, tous deux traduits et marocanisés. D’autres spectacles, aussi, et la mise en place progressive d’un écosystème « opéra marocain ».
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