J’ai découvert qu’un recours avait été déposé contre l’élection de Karim Ben Cheikh. Le Conseil Constitutionnel ne permet pas au grand public de voir le détail des recours avant d’avoir déposé sa décision, on en est donc réduit à des conjectures.
Je vous mets ici une copie d’écran de la liste des recours en instance, puisqu’il n’y a pas de lien direct vers le recours tant que la décision n’a pas été prise.

A noter qu’il y a eu en tout 7 circonscriptions qui ont dû voter à nouveau pour leur député, les quatre autres se trouvant en France et là, aucun recours n’a été déposé. Je n’ai aucune idée de la raison des recours déposés dans les deux autres circonscriptions, mais, quels qu’ils soient, il me semble qu’il y a un problème de fond si on repart pour un troisième tour.
Le problème du vote électronique en ligne justifiait les trois annulations.
En effet, les difficultés liées au vote électronique qui justifiaient l’annulation dans la 2° et la 9° circonscription ne semblent pas s’être reproduites. Quant à la 8°, le problème était beaucoup plus grave, puisque le candidat (élu) avait fait proposé à des électeurs de voter à leur place en utilisant leur identification pour le vote en ligne.
Dans les trois circonscriptions, l’élu de juin avait été réélu, à la différence de ce qui s’est passé en France métropolitaine.
Quelles raisons pour les recours ?
Impossible de le savoir avec certitude, puisque le Conseil Constitutionnel ne publie pas les détails.
J’ai cru comprendre que François Fatoux (le seul requérant à être un simple électeur, et pas un candidat) a agi à cause de la présence au premier tour d’un candidat inéligible, Oumar Ba.
Son profil LinkedIn le présente comme un consultant, pas un militant politique, même si ses compétences dans la RSE et ses différentes activités le mettent en contact fréquent avec la sphère publique.
C’est vrai que la présence d’Oumar Bâ était choquante, j’en avais parlé et j’avais été assez choquée de son silence total quand je lui avais posé directement la question, suite à son mail de candidat.
Les charmes du droit électoral
Néanmoins, elle était totalement légale :
- son inéligibilité avait été prononcée par le Conseil Constitutionnel quatre jours après la proclamation des listes officielles par le Ministère de l’Intérieur (et oui, ils auraient pu se dépêcher, mais ils ont clôturé le contentieux électoral il y a cinq jours seulement, le 19 mai 2023).
- Une jurisprudence constante n’oblige pas les préfets à valider les candidatures sur le fond (donc en vérifiant l’éligibilité des candidats) mais uniquement sur la forme ; certaines préfectures font les deux contrôles, mais il y a eu de nombreuses élections avec des candidats inéligibles, les seules qui ont fait l’objet d’une annulation sont celles où ce candidat a été élu ou présent en seconde position.
- L’inéligibilité prononcée par le Conseil Constitutionnel n’était pas accompagnée d’une perte des droits civiques. En clair, même si c’est idiot, Oumar Ba avait le droit de se présenter, mais pas celui d’être élu.
M’jid El Guerrab, le retour ?
On peut déposer un recours pour « la beauté des principes » et pour marquer un point de droit. J’en doute, surtout dans ce cas précis où les spécialistes du droit électoral savent qu’il n’y a rien d’anormal.
Mais, en général, on dépose – ou on fait déposer un recours – quand on pense qu’on aurait dû être élu, qu’on a une chance de l’être si on revote.
Étant donné les résultats du mois dernier, le seul candidat pouvant avoir intérêt à un recours est M’Jdid El Guerrab, attaché à cette circonscription comme la vérole sur le bas-clergé (ne voir dans cette expression classique en français aucune allusion à sa santé ou sa vie privée).
Et les liens professionnels fréquents entre François Fatoux et Yasmine Seghirate El Guerrab, qui ont co-publié de nombreux rapports sur la RSE, le développement en Méditerranée, etc. appuient cette hypothèse.
En effet, on a au premier tour, un candidat (finalement élu) qui se détache largement, puis deux candidats dans un mouchoir de poche, pour lesquels l’écart de voix est supérieur au nombre de voix qui se sont portées sur Oumar Ba. Caroline Traverse, ayant de toute façon été battue au second tour, n’a strictement aucun intérêt à faire un recours.

Si mon hypothèse est la bonne, cela va bien avec le côté procédurier de cette personne, qui attaque aujourd’hui Boris Faure et fait appel de sa condamnation sur une argutie juridique fausse.
Les conséquences de ce recours
La première conséquence, je trouve, « amha » comme on dit, c’est d’accentuer le côté grand-guignol d’une élection qui ne semble pas être prise au sérieux par beaucoup de candidats.
Est-ce que ce recours va servir à quelque chose ?
Je doute que le Conseil Constitutionnel annule l’élection
- D’abord, parce que la candidature d’Oumar Ba est légale.
- Ensuite, je répète, parce que la jurisprudence du Conseil Constitutionnel, dans ces cas là, est d’annuler uniquement si un candidat inéligible à été élu.
- Enfin, parce que les demandes d’annulation de premier tour ne sont recevables, toujours selon la jurisprudence du Conseil Constitutionnel, que si le recours propose la victoire d’un autre candidat que celui qui a été élu.
Or là, étant donné l’énorme écart de voix entre Karim Ben Cheikh, candidat officiel de la Nupes, et Caroline Traverse, il est difficile de penser que les résultats auraient été différents :
- qu’El Guerrab avait été élu comme candidat divers gauche en 2017, l’hypothèse d’un duel gauche Nupes – divers gauche au second tour est assez irréaliste
- Oumar Ba étant un candidat Renaissance « dissident », en toute logique, il a pris des voix à Caroline Traverse, pas à El Guerrab.
Si l’élection de Karim Ben Cheikh est invalidée une seconde fois
La participation a chuté de moitié en avril par rapport à juin 2022. Et une troisième élection n’arrangera pas les choses. Arrivera-t-on à avoir un député envoyé à l’Assemblée Nationale par 3.000 électeurs ?
En plus, ça coûte cher, ce genre de plaisanterie. Les dépenses de campagne des candidats sont plafonnées à +/- 80.000 € par candidat et par tour (donc 160.00 € pour les candidats présents au second tour) et sont remboursées à hauteur de +/- 38.000 € quand ils dépassent les 5%. De plus, l’état prend directement en charge les frais de propagande, donc l’envoi des bulletins papier, le coût de l’organisation (donc les envois de code par sms), etc.
Ce qui a été le cas de 5 candidats au premier tour de juin 2022, 5 candidats au premier tour de 2023. Plus de 450.000 € auxquels s’ajouteraient 260.000 € de plus en cas de troisième vote !
Plusieurs mois sans député
Car un député arrête de siéger en attendant la nouvelle élection. L’état dispose de trois mois pour organiser de nouvelles élections. L’élection de la 9° circonscription a été annulée le 20 janvier, Karim Ben Cheikh réélu le 16 avril. 89 jours en tout.
Une nouvelle annulation impliquerait de passer environ 6 mois sans député, soit 10% du total de la législature. Alors qu’un certain nombre de votes à l’Assemblée Nationale sont très serrés… Quelle que soit son opinion personnelle, on ne peut que souhaiter que tout cela s’arrête.
En tout cas, cela nous a poussé à regarder d’une façon critique ces élections, et, bien que cela sorte un peu du thème de ce blog, je vous expliquerai pourquoi, tel qu’il est organisé, je trouve qu'il n'est pas bon et devrait être réformé.
L’écart de voix en M’jid El Guerrab et le candidat élu
En mettant à jour cet article pour répondre à la demande d’un twittos, j’ai trouvé un élément supplémentaire : le Conseil Constitutionnel n’annule pas les élections en cas d’écart de vois important (le plus faible ayant été 1,4% des suffrages exprimés).
Dans « notre cas », l’écart de voix au premier tour entre Karim Ben Cheikh est M’jid El Guerrab est tel que, même en attribuant à ce dernier la totalité des voix obtenues par Oumar Ba, la sincérité du résultat final du scrutin (le député élu) ne peut être remise en cause.
En savoir plus
- Décision n° 2022-5736/5749 AN du 29 juillet 2022 | Conseil constitutionnel
- "Les requêtes formées par Mme BONAFÉ et M. LALOUBÈRE sont dirigées contre les seules opérations du premier tour organisé le 12 juin 2022. Aucun candidat n'ayant été proclamé élu à la suite de ce premier tour et les requérants ne demandant la proclamation d'aucun candidat, leurs requêtes sont donc irrecevables."
- Conseil d'État, 3ème / 8ème SSR, 17/02/2015, 381414
- L'inéligibilité d'un candidat peut faire annuler un scrutin, mais dans le cas d'un scrutin à un seul tour
- Déclaration de candidature et conditions d'éligibilité - Guide du candidat - (Oise)
- Selon ce guide du candidat (identique dans toutes les préfectures) le contrôle de l'éligibilité se fait au second tour seulement.
- Article LO160 - Code électoral - Légifrance
- Depuis 2011 "Est interdit l'enregistrement de la candidature d'une personne inéligible. " Mais Oumar Bâ était éligible au moment de la proclamation des listes Et beaucoup plus important : Si le tribunal ne s'est pas prononcé dans le délai imparti, la candidature est enregistrée la loi autorise donc la présence de candidats inéligibles sur les listes de candidatures.
- Article LO127 - Code électoral - Légifrance
- "Toute personne qui, à la date du premier tour de scrutin, remplit les conditions pour être électeur et n'entre dans aucun des cas d'inéligibilité prévus par le présent livre peut être élue à l'Assemblée nationale. ' Mais l'article ne lui interdit pas d'être candidat, juste d'être élu (ce qui n'a pas été le cas pour Oumar Bâ).
- Article LO136 - Code électoral - Légifrance
- "Sera déchu de plein droit de la qualité de membre de l'Assemblée nationale celui dont l'inéligibilité se révélera après la proclamation des résultats et l'expiration du délai pendant lequel elle peut être contestée ou qui, pendant la durée de son mandat, se trouvera dans l'un des cas d'inéligibilité prévus par le présent code." L'élection d'un candidat inéligible entraine l'annulation du scrutin. Aucun autre cas n'est prévu par la loi.
- La définition d'un grand écart de voix
- Dans des cas extrêmes, un écart de voix de plus de 148 voix ne remet pas en cause la sincérité du scrutin, on est généralement plutôt à 600 ou 700 voix. Mais attention, entre le candidat qui dépose le recours et le candidat élu...
- En pratique, les préfets n'ont pas le temps matériel d'examiner et de rejeter des candidatures "inéligibles"
- Ce qui implique qu'il faut gérer les élections avec des candidats inéligibles... >
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