Si on devait résumer l’impôt sur le revenu au Maroc, ce serait « simple », « élevé » et « restreint ».
Simple parce qu’à la différence de nombreux pays, il y a peu de niches fiscales, peu de déductions, etc.
Élevé parce que… les taux sont élevés (ou les tranches sont basses).
Restreint parce que beaucoup de revenus y échappent ou sont simplement taxés d’un prélèvement libératoire.
Les principes de base
Pas de foyer fiscal commun
La notion de fоуеr fіѕсаl n’existe pas au Maroc comme nous la connaissons. En effet, légalement, le patrimoine et les revenus des deux époux restent strictement séparés, on ne les fusionne pas pour calculer un impôt global. C’est avantageux pour les couples où les deux parents travaillent et qui auront, en quelque sorte, deux foyers fiscaux à la même adresse pour la même famille.
Un abattement minime pour les personnes à charge
Par contre, la notion de реrѕоnnе à сhаrgе existe et permet une déduction minime du revenu imposable, de 60 dirhams / personne et par mois. Elle inclut les enfants, le conjoint non-salarié ou d’éventuels autres adultes à charge (par exemple dans le cas d’une kafala sur un majeur).
Quand les deux parents travaillent, les enfants sont traditionnellement rattachés au père, sans que cela soit une obligation légale. Cela dit, vu le faible montant de la déduction, cela ne vaut pas la peine de chercher à changer cela uniquement pour des raisons fiscales.
Un I.R. progressif qui monte très vite dans les hautes tranches
Par exemple pour un revenu imposable de 200.000 dirhams :
Tranches | Taux d’IR | Impôt |
0 à 30.000 | 0% | 0 |
30.001 à 50.000 | 10% | 20.000 à 10% = 2.000 |
50.001 à 60.000 | 20% | 10.000 à 20% = 2.000 |
61.000 à 80.000 | 30% | 20.000 à 30% = 6.000 |
81.000 à 180.000 | 34% | 100.000 à 34% = 34.000 |
Au delà de 180.000 | 38% | 20.000 à 38% = 7.600 |
Total | 25,8% (taux effectif) | 51.600 |
Un impôt sur le revenu prélevé à la source, régularisable annuellement
Dans le cas des salariés, chaque entreprise établit ses bulletins de paye sur la base des salaires qu’elle paye, et uniquement là-dessus.
C’est au salarié, s’il dispose d’autres ѕоurсеѕ ԁе rеѵеnuѕ taxables, ou s’il travaille pour plusieurs entreprises, d’effectuer une régularisation annuelle auprès de la Direction Générale des Impôts, qui peut conduire à un impôt supplémentaire ou à un remboursement.
Par contre, si, à la fin de l’année, l’entreprise constate que la base annuelle atteint une tranche supérieure à celle appliquée certains mois, elle doit effectuer une régularisation. Cela peut arriver pour les salariés qui touchent ponctuellement de gros salaires, typiquement les commerciaux rémunérés à la commission.
A l’inverse, si le salaire annuel est finalement dans une tranche inférieure (salariés arrivés en cours d’année, congés maladie longue durée, congés sans solde, etc.) c’est au salarié de demander directement à la Direction Générale des Impôts la régularisation du trop perçu.
La base « CNSS » est la même que la base fiscale
Là, c’est un vrai bonheur, par rapport à des pays à la fiscalité complexe, incitative, etc. qu’on peut connaître dans différents рауѕ еurорéеnѕ (je me souviens des casse-têtes des bulletins de paye français ou belges et des déclarations d’impôts allemandes…)
Tout ce qui est exonéré d’IR est exonéré des cotisations CNSS et vice-versa.
(Sauf pour le cas très particulier des salariés CFC, imposés à un taux de 20% quel que soit leur revenu, en contrepartie ils n’ont droit à aucune déduction fiscale, par contre les montants correspondant restent exonérés de CNSS).
Des exonérations limitées
Quelques éléments de salaire sont exonérés d’impôt sur le revenu :
- les frais de représentation pour le personnel de direction
- une indemnité de transport
- une prise en charge (partielle) des abonnements téléphoniques
- quelques primes, comme la « prime de mouton » à l'occasion de l'Aid ou des primes liées aux conditions de travail
Tous ces éléments, comme l’abattement pour frais professionnels, sont limités dans leur montant.
Mais il existe des revenus non soumis
- Les revenus à caractère d’indemnité au sens large sont exonérés d’impôt sur le revenu. Cela inclut :
- l’ensemble des аllосаtіоnѕ fаmіlіаlеѕ, indemnités CNSS / AMO et celles versées par les mutuelles complémentaires,ainsi que les pensions d’invalidité
- les indemnités de licenciement (dans un montant limité à un million de dirhams à partir de 2023)
- les pensions alimentaires
- les bourses d’études et les indemnités de stage versées au étudiants (dans la limite de 6.000 dirhams bruts/mois) sont aussi exonérées d’impôts ;
- les droits d’auteurs (sans limitation de montant) et les prix littéraires et artistiques, dans la limite de 100.000 dirhams / an ;
- certaines prestations servies au titre des contrats d’assurance- vie et des contrats de capitalisation ;
- les successions ;
Des revenus soumis à un prélèvement libératoire
Ces revenus vont être imposés, généralement par un prélèvement à la source, à un taux fixe, généralement plutôt faible, ou bénéficier d’un abattement très élevé (ce qui revient au même en pratique). Ils ne sont donc pas inclus dans la base imposable qui va déterminer la tranche d’imposition.
Ce sont en particulier les dividendes (avec une retenue à la source de 13,75% en 2023).
Un impôt universel pour les résidents au Maroc
Le Maroc exige que ses résidents, nationaux ou étrangers, déclarent tоuѕ lеѕ rеѵеnuѕ au Maroc, quelque soit le pays où ils sont réalisés.
Quand une convention fiscale a été signée (ce qui est le cas avec la France, la Suisse, la Belgique, le Canada et les États-Unis, entre autres), des mécanismes sont mis en place pour éviter la double imposition.
Ces mécanismes dépendent du pays, de la nature des revenus et du mode de paiement (retenue à la source ou paiement sur rôle) et permettent selon les cas, de se faire rembourser l’impôt payé dans le pays d’origine, de le déduire de l’impôt dû au Maroc voire d’exclure le revenu de la base fiscale au Maroc.
Des taux d’imposition élevés
C’est à la fois simple et douloureux !
Barème des taux d’impôt sur le revenu en 2023
Mensuel (indicatif) | Annuel | Frais professionnels | Taux IR | Montant IR à payer | |||
De | A | De | A | Taux | De | A | |
– | 2 500 | – | 30 000 | 35% | 0% | – | – |
2 501 | 4 166 | 30 001 | 50 000 | 35% | 10% | 1 951 | 3 250 |
4 167 | 5 000 | 50 001 | 60 000 | 35% | 20% | 6 501 | 7 800 |
5 001 | 6 500 | 60 001 | 78 000 | 35% | 30% | 11 701 | 15 210 |
6 501 | 6 666 | 78 001 | 80 000 | 25% | 30% | 17 551 | 18 000 |
6 667 | 15 000 | 80 001 | 180 000 | 25% | 34% | 20 401 | 49 300 |
15 001 | 180 000 | 25% | 38% | 55 100 | – |
La loi de finances 2023 a introduit un seuil de 78.000 dirhams pour l’abattement pour frais professionnels, qui se trouve à l’intérieur de la tranche à 30% (de 60.000 à 80.000 dirhams) c’est pour cela que nous avons éclaté la ligne en deux.
Les montants d’I.R. sont indicatifs, ils ont été calculés en l’absence de toute autre réduction, exonération ou abattement, ce qui n’est pas le cas dans la vie réelle.
Comparaison indicative des tranches et des taux d’IR avec la France
Nous avions fait en 2017 ce tableau comparatif, qui reste vrai même si les taux de conversion devraient être actualisés :
Maroc | France | ||||
Revenu net annuel |
Taux | En euros | En dirhams | Taux | |
Non imposable | 0 – 30.000 | 0 | 0 – 9.807 | 0 – 109.270 | 0 |
Tranche 1 | 30.000 – 50.000 | 10% | 9.807 – 27.086 | 109.270 – 301.792 | 14% |
Tranche 2 | 50.000 – 60.000 | 20% | 27.086 – 72.617 | 301.792 – 809.100 | 30% |
Tranche 3 | 60.000 – 80.000 | 30% | 72.617 – 153.783 | 809.100 – 1.716.450 | 41% |
Tranche 4 | 80.000 – 180.000 | 34% | > 153.783 | > 1.716.450 | 45% |
Tranche 5 | > 180.000 | 38% | NA |
On voit :
- qu’il faut gagner beaucoup plus d’argent pour atteindre les même tranches
- et encore plus pour payer autant d’impôt, puisque l’impôt sur le revenu en France est progressif
Exemple de calcul d’impôt sur le revenu
Soit le cas d’un cadre gagnant 20.000 dirhams brut/mois, avec un bonus de 15.000 dirhams et une рrіmе ԁе mоutоn de 2.400 dirhams.
Ces 20.000 dirhams incluent :
- une prime de représentation de 10% de son salaire
- une participation aux frais de transport de 500 dirhams
- la prise en charge de la moitié de ses frais de téléphone (150 dirhams sur 350 en tout)
Il a une épouse qui travaille et deux enfants, donc deux personnes à charge.
Revenu brut annuel | A | 257.400 |
Éléments non taxables | B = C+D+E+F | |
– Frais de représentation | C | 25.500 |
– Frais de transport | D | 6.000 |
– Téléphone | E | 1.800 |
– Prime de mouton | F | 2.400 |
Rеѵеnu Ьrut taxable | G = A-B | 221.700 |
Abattement pour frais professionnels (limitée) | H = G*25% | 35.000 |
CNSS AMO salariale | I | 8.236 |
Revenu imposable | J = G – H – I | 178.464 |
Taux IR maximum | K | 34% |
Impôt sur le revenu | L | 43.478 |
Déduction pour personnes à charge | M | 720 |
Impôt à payer | N = L – M | 42.758 |
Revenu net disponible | O = A – I – N | 206.406 |
Soit en mensuel | 17.200 |
Avec un salaire mensuel de 25.000 dirhams (25% de plus), le revenu net annuel passe à 259.793 dirhams, soit une augmentation de seulement 22% (et une augmentation des charges patronales de 24%)
Le cas particulier des retraites
Les retraites payent un impôt sur le revenu selon le barème général, mais bénéficient d’un abattement beaucoup plus élevé que l’abattement pour frais professionnels :
- 70% sur la tranche de ces revenus inférieure à 168.000 dirhams / ans
- 40% sur la tranche supérieure
Donc une personne qui touche une retraite annuelle de 200.000 dirhams aura un revenu imposable de 69.600 dirhams seulement, ce qui la place dans la tranche à 30% au lieu de celle à 38%, soit une économie d’impôt de 55.000 dirhams en tout.
Optimiser son impôt sur le revenu, c’est possible ?
Oui c’est possible.
Connaître les investissements aidés
Ils sont nettement moins nombreux qu’en France, mais l’achat d’une résidence principale, les investissements dans les OPCVM ou les plans d’épargne peuvent donner lieu à des déductions d’impôt.
Cela reste toutefois limité, sans la grande variété des investissements aidés qu’on peut avoir en France (résidences étudiantes, investissements énergétiques, etc.) ou ailleurs.
Organiser ses revenus
Étant donné cette relative absence de « niches fiscales » au Maroc, optimiser son IR consiste avant tout à optimiser la ѕtruсturе ԁе ѕеѕ rеѵеnuѕ : salariés, non salariés, dividendes, etc. et ce au niveau individuel comme au niveau familial.
C’est un travail qui doit se faire en prenant en compte la totalité des revenus, au Maroc et à l’étranger, le fonctionnement des conventions fiscales, etc.
Correction du calcul de l’I.R. en tenant compte des tranches !
Une coquille ou une erreur de syntaxe ? Vous pouvez sélectionner le texte et appuyer sur Ctrl+Enter pour nous envoyer un message. Nous vous en remercions ! Si ce billet vous a intéressé, vous pouvez peut-être aussi laisser un commentaire. Nous sommes ravis d'échanger avec vous !
4 commentaires
Bonjour Madame ,
Je viens de signer mon premier CDI, normalement je vais profiter de l’exonération de l’IR pour les salaires versés au salarié à l’occasion de sa première embauche, jusque là tout est normal mais vous avez dit que « Tout ce qui est exonéré d’IR est exonéré des cotisations CNSS et vice-versa ».
Est-ce également valable pour mon cas ou seulement pour ceux qui appartiennent à la première tranche (qui perçoivent le SMIG).
Merci.
Bonjour Omar,
vous avez raison de poser la question, mais non : j’aurais dû écrire « tout ce qui est exonéré d’IR par nature, de façon permanente ».
En ce qui vous concerne, c’est un différent comme mécanisme.
Bonne journée
Bonjour Marie-Aude,
vous indiquez dans votre article que l’IR n’est pas progressif et que le taux retenu pour le calcul de l’IR s’applique sur la totalité du revenu. Vous donnez l’exemple d’un revenu imposable annuel de 178.464 dirhams auquel vous appliquez le taux de 34% (tranche de 80.001 à 180.000 dirhams) pour obtenir un IR de 60.678 dirhams. De mon point de vue, votre analyse est erronée car l’IR au Maroc est bel et bien progressif. En effet, l’IR applicable à un revenu imposable de 178.464 dirhams n’est pas de 60.678 dirhams mais de :
(30.000 x 0%) +
((50.000 – 30.000) x 10%) +
((60.000 – 50.000) x 20%) +
((80.000 – 60.000) x 30%) +
((178.464 – 80.000) x 34%)
= 43.477,76 dirhams
le même résultat peut être obtenu en déterminant le taux marginal de la tranche d’imposition (ici 34%) puis en lui appliquant la déduction applicable à la tranche, qui correspond au surplus d’IR à retrancher compte tenu du taux des tranches inférieures du barème (ici 17 200 dirhams*)
(178.464 x 34%) – 17.200 = 43.477,76 dirhams
vous obtiendrez une confirmation supplémentaire en utilisant les simulateurs en ligne où vous constaterez que le calcul de l’IR suit la méthode indiquée ci-dessus et non celle de votre article
Cordialement
Vous avez tout à fait raison, et je pense avoir confondu l’IR et l’IS pour lequel le patronat marocain a longtemps réclamé la progressivité.
Le pire c’est qu’en vérifiant sur les calculs que j’avais faits récemment pour un client, ils étaient justes… on mettra cette erreur sur le compte de la fin de l’année. En tout cas merci de me l’avoir signalée, j’ai mis l’article à jour.