C’était il y a quinze ans, peu de temps après mon mariage. Mon mari et moi étions à Casa, il m’avait « abandonnée » pour garer la voiture pendant que je faisais des courses.
Premier contact
La vendeuse était gentille, elle commence à faire la conversation, et tu es au Maroc, et pourquoi, tu es mariée, oui c’est bien, tu es marocaine maintenant, et comment s’appelle ton mari ?
« Bilal
– Ah c’est un très beau nom, c’est le nom du premier muezzin, tu sais… «
Oui, je sais.
Toute cette belle histoire s’est écroulée en un instant, quand mon mari est entré dans la boutique.
La vendeuse m’a dit, avec un air pincé
« Ah il en la couleur aussi ».

#Blacklivesmatter
Au Maroc, on surnomme les Noirs « azzi », c’est une injure
Il y a des Marocains descendants d’esclaves, les Harratines ou les Gnaouas. Il y a des Berbères du sud qui se sont bien mélangés avec les populations « encore plus du sud », soit lors des caravanes qui allaient jusqu’à Tombouctou, qui fut intégré à l’empire saadien, ou tout simplement parce que le berceau de la dynastie almoravide se trouvait en Mauritanie (et la tribu de mon mari appartient aux mêmes Berbères Sanhadja dont sont issus les Almoravides).
Il y a aussi des expatriés, avec une colonie africaine assez importante, à Casablanca en particulier, qui est là pour le business. Beaucoup d’étudiants, aussi, qui retourneront ensuite dans leur pays, diplôme en poche.
Enfin, il y a bien tous les migrants illégaux, les « Subsahariens » comme on dit, qui se concentrent au Maroc dans l’espoir de pouvoir, un jour, passer en Europe. Ils vivent dans des conditions extrêmement difficiles, mendient le long des grandes artères. A Casablanca, les réactions racistes à leur encontre augmentent d’autant plus qu’ils deviennent plus nombreux et plus visibles. Comme partout…
(et quand je dis à un chauffeur de taxi casablancais qu’il a exactement les mêmes mots à l’encontre des Noirs au Maroc que le Front National contre les « Arabes » en France, il bugue sans comprendre).
Ce reportage de Medi1 sur les couples mixtes montre en particulier un Marocain ayant épousé une Sénégalaise. Ce sont des gens aisés, le témoignage de leur fille est sans ambiguïté.
Je vous ai calé la vidéo sur le démarrage de leur témoignage :
#BlacklivesMatter, ici aussi
Malgré ce racisme incontestable, la violence policière marocaine n’est pas comparable à celle qu’on connait en France, ni d’une manière générale, ni en particulier à l’encontre des noirs.
Le policier marocain est tout sauf tendre, il est craint, mais il n’y a pas ici – je crois – les mêmes histoires de violence et d’oppression institutionnalisée comme en France. Les contrôles d’identité répétés, par exemple, sont inconnus au Maroc car ils n’ont pas de sens.
Le moqqadem, les gardiens, … tout le monde connaît tout le monde en ville. Quant aux derniers bidonvilles ou aux grands quartiers abandonnés comme Lissasfa, ils sont encerclés, peut-être, mais la police n’y pénètre pas, tout simplement. Le contrôle d’identité se fait ici dans des circonstances bien spécifiques (sur la route, quand vous « attentez à la pudeur », quand on soupçonne l’ami marocain qui vous accompagne d’être un faux guide, etc) mais pas de façon systématique comme en France.
Les arrestations sont brutales. Mais là encore, depuis que je suis au Maroc, je n’ai jamais entendu parler d’une arrestation abusive qui aurait conduit à la mort de l’interpellé. La violence policière s’exerce sans distinction … sur Facebook, récemment, un Fassi s’est plaint d’avoir été tabassé par un policier berbère qui se vengeait sur lui, à cause de la couleur de sa peau, a-t-il précisé. Le problème, c’est qu’au Maroc comme en France, statut social et économique et couleur de peau sont liés.
De plus, au Maroc comme en France, on rencontre les mêmes réactions de déni, comme celle-ci, lors de la campagne anti-raciste « Je ne m’appelle pas négro (azzi)« . Ou celui-ci, qui cherche à changer le sens du mot et rappelle que la musique Gnaoua est valorisée au Maroc (voir plus bas pour la réalité quotidienne).
L’atténuation du racisme par la solidarité musulmane
Le fait que beaucoup des ces migrants soient musulmans joue, je crois, dans cette situation. Plus ou moins acceptés, plus ou moins méprisés, ils n’en restent pas moins des « frères » dans une religion où le racisme n’est pas censé exister. Si je vous parle des côtés sombres du Maroc, cette réalité là existe aussi. Elle joue moins, bien sûr, pour les africains chrétiens, mais elle existe. En témoigne par exemple, les réactions nombreuses à la vidéo de ce caïd dans un quartier de migrants à Casablanca, au début du confinement :
Ceci compense cela :
Racisme ou structures traditionnelles ?
Les Marocains ne se considèrent pas comme racistes. Tous ceux qui sont partis vivre en Afrique Noire reviennent avec la même réaction « mais là-bas on m’a traité en égal, il n’y a pas de racisme ».
La difficulté, c’est que le Maroc est un pays encore très traditionnel, où l’organisation tribale structure encore énormément la société, même si ces structures sont moins visibles de nos jours. Pour certains, on ne parlera pas de « tribu » mais de « famille », cela revient au même.
Alors le Noir ne fait pas partie de la tribu. Tout simplement. On peut le respecter dans la vie quotidienne, mais il doit vivre dans son cercle.
Une de mes amies, originaire de Tineghir, d’une famille de Gnaouas, m’expliquait que les gens avaient recours aux Gnaouas et les respectaient pour leur baraka (leur pouvoir d’intercession), mais qu’on ne se mariait pas entre Berbères et Gnaouas.

En savoir plus
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