Hier, le Maroc a donc célébré le quarantième anniversaire de la Marche Verte. Il est difficile, quand on ne vit pas ici, d’imaginer ce que représente la Marche Verte, Al Massira Al Khadra, pour les marocains. Cette annexion (presque) pacifique du Sahara arraché aux espagnols n’a pas d’équivalent dans notre histoire.
Par contre, la ferveur nationaliste qui l’accompagne, si, elle a un équivalent. Si vous avez un peu de connaissances historiques, imaginez-vous la France d’après la défaite de 1870, sa volonté de reprendre l’Alsace et la Lorraine aux allemands… imaginez-vous que la France ait pu retrouver ces morceaux de son territoire sans la boucherie de 14-18 ?
La comparaison n’est pas si absurde. Comme le « Sahara Occidental » n’est peut-être pas si marocain que cela, l’histoire de l’Alsace-Lorraine n’est pas aussi « française » que nous l’avons décidé, lors de notre XIX° siècle nationaliste. Mais un pays ne se construit pas que sur l’histoire exacte, il se construit aussi avec des mythes et des légendes acceptées de concert.

Le Sahara Occidental est un territoire avec une histoire complexe, entre des tribus sahraouies très fortement opposées aux autres tribus berbères du sud marocain, des liens avec l’Espagne qui datent de l’établissement des comptoirs et des postes militaires à la Renaissance, une colonisation espagnole, alors que la Mauritanie, au sud, fut colonisée par les français, un attachement entre le nord marocain et le sud sénégalais.
Le meilleur symbole de la complexité de cette histoire, c’est Laayoune, où s’est tenu le plus gros des festivités, qui n’est, après tout, qu’un poste militaire fondé par les espagnols en 1938…
Mais de cette complexité, pas de trace dans les medias marocains. Le discours sur le Sahara occidental est rarement pesé, réfléchi, argumenté. Il est le plus souvent, déclamé, avec quelques mots clés, « ennemis du Maroc » (le Polisario et plus encore l’Algérie), « l’intégrité territoriale et nationale » et « le grand Maroc ».
La Marche Verte c’est un coup de génie de politique intérieure et extérieure du roi Hassan II, qui réussit d’une pierre deux coups, récupérer sans effusion de sang un territoire qu’il n’avait pas pu reprendre lors de la guerre de Sidi Ifni, et restaurer intérieurement une popularité mal en point, qui sera portée par l’union du peuple marocain.
Et c’est aujourd’hui, une situation difficile, qui coûte cher au Maroc, avec un conflit enlisé, des prisonniers de guerre parmi les plus vieux du monde, une tension grandissante avec le voisin algérien, une frontière qui se ferme derrière un mur où se massent des troupes.
C’est un des axes déterminants de la politique extérieure marocaine. Contrairement à ce que beaucoup disent, le Maroc est très efficace dans son travail de lobbying anti-Polisario, la liste des pays reconnaissant la RASD (République Sahraouie) a fondu ces dernières années, passant de 83 à 40…
Il est facile d’avoir des opinions tranchées sur cette situation. Lors des émeutes de 2010 à Laayoune, j’ai lu au Maroc des expressions, des accusations d’ingratitudes contre les sahraouis qui ne sont pas reconnaissants de ce que le Maroc fait pour eux, qui rappelaient étrangement, très désagréablement, la phraséologie du colonialiste français lors des luttes pour l’indépendance…

Pourtant, le Sahara occidental n’est pas une colonie. C’est un territoire dont certains habitants préféreraient être sahraouis que marocains, mais qui ont une nationalité marocaine et une égalité civique dont ne bénéficient pas les colonisés. C’est un territoire qui n’est pas exploité économiquement, au contraire, qui reçoit des fonds, des aides, des exonérations fiscales. Les jeunes saharaouis font leurs études comme ils le souhaitent au Maroc, accèdent à des postes dans la fonction publique.
Le père de Mohamed Abdelaziz, le dirigeant du Polisario et de la RASD depuis 1976 ( presque quarante ans au pouvoir sans discontinuer !) est un ancien militaire marocain qui vit dans la région de Beni Mellal et qui est opposé aux thèses du Polisario. Il est membre du Conseil royal consultatif pour les affaires sahariennes, ou CORCAS, qui est porteur du projet d’autonomie au sein du Maroc. (Et, pour la petite histoire, il dispose de deux licences de lignes de bus, données par Hassan II puis Mohammed VI). Vous le trouvez sur cette page, sous le nom de Khalili Rkibi.
Bref, c’est complexe, comme toute situation qui s’éternise sans se régler sur quarante ans…

Complexe, comme le Maroc. Et si ma découverte du Maroc s’est faite de façon progressive, à partir de février 2004, c’est à partir de l’automne 2005 que j’ai commencé, sérieusement, à m’installer dans ce nouveau pays, à y créer un activité…
Sans date précise, ce dixième anniversaire est bien proche du quarantième anniversaire de la Marche Verte, et c’est finalement une très bonne occasion de faire le bilan.
Si je devais résumer ces dix ans, ce serait une révolution tranquille.
Tranquille, parce que sans gros soubresauts. Le printemps arabe a été canalisé, le Maroc est finalement un des seuls pays à avoir fait des réformes importantes sans passer par la case violences. Les incidents comme ceux de Lâayoune restent extrêmement minoritaires, les années de plomb sont loin même si on est loin de « la fête du slip de la liberté d’expression tous azimuths » pour reprendre l’expression d’un de mes profs. La société marocaine négocie avec elle-même son évolution, un coup libéralisation, un coup tradition et islamisme, mais globalement, on vit en sécurité au Maroc, dans un pays remarquablement stable par rapport au reste de la région et même de l’Afrique.

Révolution parce que tellement de choses évoluent, pas aussi vite que le prétendent les communiqués de presse officiels, et beaucoup plus que ne le disent les opposants et les analystes superficiels qui voyaient le Maroc devenir la proie des islamistes les plus fondamentalistes.
Pour ceux qui veulent venir vivre et travailler, les procédures sont plus faciles qu’il y a dix ans, plus rapides aussi, les CRI par exemple jouent un rôle important, elles sont aussi plus contrôlées, la lutte contre la corruption gagne aussi du terrain, peu à peu. La couverture sociale s’est généralisée, une assurance médicale de base a été mise en place pour ceux qui n’ont pas de CNSS. Les procédures se dématérialisent, même si les sites webs ne marchent pas toujours très bien au début.

L’économie marocaine se développe. Malgré la crise du tourisme et la crise dans les pays européens, le Maroc voit son PIB augmenter chaque année, avec des taux que la France lui envierait. Casablanca devient peu à peu une capitale financière africaine, le Maroc lui-même est un hub et un point d’ancrage pour les sociétés qui veulent investir en Afrique, ce qui lui permet d’attirer d’abord les investissement chez lui.
Si le web reste cher, avec des abonnements chers, le Maroc reste le pays le plus connecté d’Afrique, un des pays les plus dynamiques aussi, avec de nombreuses start-up, primées internationalement, comme iTaxi, des portails là encore africains, comme Jumia et Kaymu, une créativité et une qualité dans le développement qui a, depuis longtemps, dépassé le rôle de simple pays d’off-shoring.
Le pays attire de nombreux partenaires, se dégageant peu à peu de sa relation exclusive avec la France. Grande-Bretagne, Belgique, mais aussi Turquie, Etats-Unis et même Japon… (par contre, avec l’Espagne, les relations restent très tendues).
La société évolue en profondeur. Le « nouveau » code de la famille, promulgué il y a justement dix ans, a profondément amélioré le statut des femmes dans les textes. Ceux-ci sont appliqué de plus en plus fermement, et les lacunes de ce code remises en question. Aujourd’hui, le Maroc s’attaque à deux dossiers très sensibles dans un pays musulman, la légalisation sous certaines conditions de l’avortement, et la possibilité d’héritage égal pour les femmes. Un peu l’équivalent du mariage pour tous en France…
La natalité chute extrêmement rapidement dans les villes, ce qui est un indicateur de développement. On investit plus sur les enfants, leur éducation, leur avenir, on en fait donc moins. Dans les villes, chez les jeunes, la natalité est à peu près équivalente à celle de la France. Si les gens se marient jeunes, de nombreuses femmes travaillent, le mariage polygame est devenu anecdotique.
Le taux d’illettrisme des adultes a fortement reculé. Oh, bien sûr, dans la plupart des cas, il s’agit d’une formation minimale, permettant de signer de son nom, de comprendre un formulaire administratif, mais l’énorme effort qui a été entrepris à travers le réseau associatif a porté ses fruits. Quand je suis arrivée au Maroc, le taux d’illettrisme des adultes était de plus de 50%. Il est aujourd’hui de l’ordre de 30%.

Le Maroc accueille de plus en plus d’immigrés, africains et européens. Je range dans les immigré européens les marocains issus de l’immigration, deuxième ou troisième génération, qui ont des projets pour rentrer au pays, même si c’est loin d’être facile pour eux. Cette immigration aussi fait bouger les choses, accélérant le développement de la classe moyenne, la demande pour certains types de service, un niveau de qualité dans la construction.
Pour finir, si la Mauritanie et le Maroc ont tous les deux améliorés leur position dans le dernier classement doing Business, et si la Mauritanie fait même partie des dix pays ayant le plus amélioré leur classement, elle n’est que 168°… le Maroc, lui est classé 75° en progression de cinq places. Si la France est classée 27°, elle n’a pas progressé par rapport à 2015, ni en classement, ni en « notation absolue ».
Et voici ce qu’était Dakhla en 1932, au début de l’Aéropostale, quand Laayoune n’existait même pas… C’est là-bas que Franco avait fait emprisonner le cousin du roi d’Espagne, qui avait tenté un soulèvement monarchiste.

(photo Contreras y Vilaseca, source Gallica)
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