La première fois que j’ai vu des photos de Touhami Ennadre, je ne connaissais quasiment rien du Maghreb, c’est vous dire si ça date. Ce fut un coup de poing, un choc visuel et artistique.
J’étais déjà passionnée de photo, il intervenait sur une émission culturelle à la télévision française et j’ai découvert sur le petit écran une de ses photos emblématiques, celle qui apparait sur l’affiche de son exposition à Rabat :

J’avais pris l’émission en cours de route et je n’avais pas mémorisé le nom du photographe. Je me souvenais juste qu’il était Marocain, mais qu’il avait grandi en France.
Et qu’il pratiquait un art du noir et blanc, des photos contrastées, de l’espace négatif qui me laissait admirative.
Cette photo, qui a été prise à l’occasion d’un enterrement, est symbolique de son oeuvre. Le jour où j’en ai eu assez et où j’ai décidé de demander à Google, « photo main noir et blanc photographe marocain » a suffi à le retrouver.
Touhami Ennadre est plus qu’un photographe, c’est un artiste
Je ne voudrais pas rouvrir ici le grand débat « la photo est-elle un art ou un artisanat » ? En tant que passionnée de photo, je crois qu’on trouve des deux, qu’une photo peut être plaisante, touchante, belle, émouvante sans pour autant être une oeuvre d’art.
Avec Touhami Ennadre, la question ne se pose pas : sa façon de transformer le réel, comme dans cette photo des rues de Marrakech, son choix de ce qu’il montre dans une scène avec sa maîtrise du noir et blanc, tout comme la cohérence de son oeuvre à travers le temps prouvent sans contexte qu’il est un artiste qui utilise la photographie comme medium.

C’est un artiste profondément marocain aussi, dans sa pudeur, sa façon de montrer les gens, ses choix d’angle de vue. On peut montrer le Maroc sans couleurs, sans motifs orientalisant et sans kasbah ! Ou la place Jemaa Fna que vous n’avez sans doute jamais visualisée ainsi.
C’est aussi un grand artiste internationalement reconnu
Et, paradoxalement, plus reconnu à l’étranger qu’au Maroc. Que ce soit en Asie, en particulier au Japon, ou aux Etats-Unis, Touhami Ennadre est reconnu comme un grand photographe. Il a « travaillé » sur les pompiers de New-York au moment du WTC, puisqu’il était présent.

il a aussi fait des photos au Japon qui répondent en écho à la fameuse photo d’Eugene Smith sur Minimata. « Répondent » car il n’y a aucune imitation, quasiment pas de ressemblance en fait, si ce n’est la position d’un corps et ces ombres, celles-là mêmes que Tanizaki magnifiait dans son Eloge de l’Ombre.
Avant d’exposer – enfin – au Maroc, il a exposé dans des grands musées comme le Guggenheim et le MOMA à New York, la Maison européenne de la photographie à Paris, la Tate Galerie à Liverpool, la Villa Stuck à Munich, Martin Gropius Museum à Berlin, lors de la Documenta 11 de Kassel et enfin aux biennales de Sharjah et de Shangaï.
Qasida noire,une exposition hors normes
La Qasida قصيدة est une forme très ancienne de poésie arabe, dont le nom signifie « intention », utilisée pour louer une tribu, un puissant personnage, etc. Le poème, dans sa forme classique, parle de nostalgie, de détachement, de voyage… La récitation de la Qasida fait aussi partie des rituels menant à la transe dans les rituels Aïssaouas.

Choisir ce titre pour une exposition récapitulative de son oeuvre est donc très symbolique. La Qasida noire, c’est aussi l’éloge de l’ombre…
Je m’en veux beaucoup de ne pas vous avoir parlé plus tôt de cette exposition, qui se termine lundi 30.
Aussi, si vous êtes à Rabat ou avez le temps d’y faire un saut, n’hésitez pas ! En plus, le vendredi et le samedi, à partir de 16h30, Touhami Ennadre est sur place pour vous rencontrer !

En effet, l’artiste est aussi très actif pour promouvoir la photographie auprès des jeunes, il s’est installé dans la medina, fait des ateliers, des rencontres. « Rien » ne prédestinait en effet ce gamin de la medina émigré en France, qui a grandi en cité, à devenir cet artiste international. A cause de ce « rien », il souhaite donner à d’autres la chance d’ouvrir leurs horizons.
En savoir plus
- El Batalett - Femmes de la medina - Film de Dalila Ennadre
- Film de Dalila Ennadre, la soeur de Touhami Ennadre, un témoignage pudique et sensible sur les femmes marocaines modestes
- Exposition « Touhami ENNADRE – QASIDA NOIRE » au MMVI – FNM
- Les détails sur l'expo (n'hésitez pas à cliquer sur le lien, il n'y a aucun risque réel, juste un certificat de sécurité pas renouvelé dans les temps)
- Lettre ouverte de Touhami Ennadre à propos de la non-prolongation de son exposition
- Effectivement, quand vous allez sur le site du Musée Mohammed VI, l'exposition, qui est encore en cours, à disparu, on pourrait croire qu'elle est déjà décrochée >
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