Au début, on n’avait pas vraiment envie de parler de l’accident de bus qui fait la une en ce moment.
Et puis deux choses nous ont fait changer d’avis… D’abord avoir retrouvé dans nos archives mon article d’il y a dix ans (!) sur un accident mortel sur la route de Tichka. Et après, on s’est posé des questions… pour se rendre compte qu’en fait, la route n’est pas si meurtrière que ça au Maroc. En tout cas par rapport aux autres pays comparables.
L’accident de Khourigba : trop vite, trop de monde
Et d’avoir vu que les mêmes causes ont produit les mêmes effets.
Cette phrase revient souvent:
"le chauffeur d’un autocar a perdu le contrôle de son véhicule,…Une enquête est en cours, afin de déterminer les circonstances de ce tragique incident."
Au lieu de "circonstances" je mettrais "responsabilités"…
Pas de hasard dans un accident.— azizdaouda.com (@AzizDaouda) August 19, 2022
Le bilan provisoire est de 24 décès, dont cinq enfants, et 37 blessés. Bilan toujours provisoire, puisque déjà 9 blessés sont décédés après avoir été évacués vers des hôpitaux.
On dit que le conducteur rоulаіt à plus de 140 km/h au lieu des 80 km/h maximum autorisés par la loi.
Quand même… il faut oser rouler à cette vitesse avec ce genre d’engins.
On dit aussi que le bus était en surcharge, ayant pris des passagers en surnombre en dehors des gares où il y aurait un certain contrôle.
C’était aussi le cas à Tichka.
Accidents de car : un enchevêtrement de responsabilités
Il y a la rеѕроnѕаЬіlіté de ceux qui commettent des fautes, celle de ceux qui laissent faire et enfin, celle de ceux qui en profitent « inch allah ».
Ceux qui commettent les fautes
Ce sont bien sûr les chauffeurs, mais surtout les responsables des entreprises, qui savent très bien dans quel état sont leurs bus et leurs camions, qui connaissent parfaitement les horaires aberrants qu’ils imposent à leurs chauffeurs.
Mon mari a fait « chauffeur touristique » pendant plusieurs années. Il lui arrivait régulièrement d’enchainer deux transferts Marrakech – Ouarzazate dans la journée, soit une quinzaine d’heures de route en tout, dans des conditions difficiles.
Alors que fait le chauffeur ? Il va le plus vite possible, il prend des substances pour tenir… Et il finit par s’endormir, malgré tout. Cela va très vite, il suffit de quelques instants pour sortir de la route.
Malheureusement, une mesure rendant les patrons responsables pleinement, à la place de leurs employés, serait inefficace, car de très nombreux chauffeurs sont leurs propres patrons.
La corruption frappe à deux niveaux :
- manque de contrôles sur les ѵéhісulеѕ professionnels qu’on laisse circuler malgré des surcharges ou des contrôles techniques défectueux (on dit que seule la moitié des 5.000 cars actuellement agréés seraient réellement en état de circuler) ;
- entretien et qualité des routes ;
- on laisse les cars charger/décharger en ѵіllе en dehors des gares, ce qui leur permet de ne pas payer la taxe (15 dirhams, une ruine !) et leur permet d’échapper aux contrôles.
Et ceux qui en profitent, « Inch Allah »
Mais n’oublions pas que tout cela est роѕѕіЬlе grâce aux usagers qui l’acceptent, qui l’encouragent même. Sans cette complicité passive, par exemple, il n’y aurait pas de cars surchargés.
Je me rappelle qu’en 2012, on expliquait sérieusement que si toutes les lois étaient appliquées, le coût du transport deviendrait trop élevé pour une partie de la population…
Les prix des transports ont beaucoup baissé, mais rien n’a changé…
Que se passerait-il si les Marocains se décidaient à faire valoir leurs droits ? A exiger du conducteur le remboursement de leur place s’ils voient des gens voyager assis sur des cageots dans les couloirs ?
Mais non… On se dit que c’est comme cela que ça fonctionne au Maroc, que c’est Dieu qui décide des accidents et de la mort.
L’évolution de la sécurité routière au Maroc
Les facteurs de la « sécurité routière »
Dans la presse marocaine et donc dans les organismes officiels dont elle relaie les statistiques, on s’intéresse quasiment uniquement aux chiffres bruts et à leur évolution. C’est bien sûr utile, mais il faut prendre en compte aussi :
- l’évolution de la population
- l’évolution du parc automobile
- l’efficacité des secours et du secteur hospitalier
Autrement dit, 200 morts par an dans un pays où il n’y aurait que 400 voitures n’a pas du tout la même signification que dans un pays où il y aurait quatre mіllіоnѕ de voitures.
Et si ce pays où il y a quatre millions de voitures a une population de vingt, quarante ou deux cent millions de personnes, là encore, la sécurité routière réelle n’est pas la même.
Enfin, si on met en place des services d’urgences efficaces, un réseau hospitalier dense et performant, le même type d’accident peut être mеurtrіеr ou « simplement » envoyer un blessé grave à l’hôpital. Mais l’accident se sera toujours produit.
Les chiffres de la sécurité routière de 2008 à 2021
Le tableau récapitulatif a été un peu difficile à faire, car les séries statistiques ne sont pas disponibles exactement sur les mêmes années.
J’ai pris :
- les données de la Banque Mondiale pour la population et les comparaison des taux de tués / habitants
- les données du Ministère des Transports et de la logistique pour le nombre de véhicules en circulation (malheureusement disponibles seulement de 2013 à 2017, pour le reste il a fallu estimer)
- les données de la Narsa (Agence Nationale pour la Sécurité Routière) pour les statistiques sur les accidents, morts et blessés
Et j’ai fait abstraction de 2020. Évidemment, le confinement a eu un impact très positif sur ces statistiques, mais personne ne pense que ce soit une mesure de prévention à privilégier !
En chiffres bruts (nombre d’accidents, de blessés, etc.) les indicateurs des accidents non mortels et des blessés légers sont mauvais, en croissance régulière.
Avec un zoom pour les accidents mortels, les tués et les blessés graves : il y a une légère, très légère, amélioration, gâchée par une reprise en 2021 où les chiffres sont supérieurs à ceux de 2019. N’oublions pas que la qualité des secours peut s’être améliorée et avoir joué sur cette stabilité des accidents graves.
Enfin, si on compare le Maroc au reste du Maghreb, le Maroc fait moins bien que ses voisins jusqu’à 2018, pour ensuite améliorer son score.

Évolution des statistiques pour 1.000 véhicules
Ce graphique là est plus compliqué, il est aussi plus représentatif de la situation réelle. Il représente le pourcentage d’évolution par rapport à l’année précédente, pour chaque indicateur rapporté à 1.000 véhicules.
Il supprime donc les effets de la croissance du parc automobile. (Le pic de l’année 2014 est lié à la prise en compte des mobylettes immatriculées, il est donc « aberrant »).
En dessous de 0%, dans la zone verte, on a une diminution, c’est bien. Au dessus, dans la zone rouge, c’est mal.
Il y a donc une réelle croissance du nombre des accidents et des blessés depuis 2015.
Explosion du trafic urbain, particulièrement à Casablanca
Une des premières explications est l’explosion de la circulation urbaine, la région de Casablanca-Settat concentre le quart des véhicules marocains.
Les accidents urbains sont beaucoup plus souvent de la tôle froissée que des accidents très graves. Sauf au cœur de la nuit, il est difficile de rouler très vite.
L’encombrement des voies, les courses des livreurs qui essayent d’aller le plus vite possible pour gagner quelques dirhams, le manque de civilité des conducteurs, le dédain des mesures de sécurité (rouler sans casque, à trois ou quatre sur un vélomoteur, etc.) ajoutent leur lot d’accidents stupides. Heureusement, souvent, ils ne sont pas très graves.
En savoir plus
- Accidents de la route : Près de 1.200 décès en 5 mois - Aout 2021
- L'année dernière, déjà, les morts de l'été en croissance
- Khouribga / En marge de l’accident de l’autocar : Le ministère de l’Equipement réagit…
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