D’habitude, on ne parle ici que de la loi fiscale marocaine (et le PLF 2025 c’est pour bientôt), mais si vous êtes un tant soit peu branchés sur internet, vous n’avez certainement pas échappé aux indignations de tout bord sur l’amendement déposé par les députés NFP et voté en première lecture, qui instaurerait, s’il arrivait au bout du processus législatif, une taxation en France sur les revenus de certains Français expatriés.
Étant donné les nombreux raccourcis et indignations, bien que cela ne concerne pas les Français expatriés au Maroc, on a voulu faire le point.
Le texte de l’amendement : une mise en place limitée d’un impôt universel
L’amendement I-CF821, déposé par Eric Coquerel (LFI-NFP) et adopté par la Commission dit que :
On voit tout de suite, étant donné les taux d’impôt sur le revenu et sur les sociétés au Maroc, que nous ne sommes a priori pas concernés.
Qui est visé ?
Selon l’exposé des motifs, il ne s’agit pas de mettre en place un impôt universel à l’américaine, mais de lutter contre l’exil vers les paradis fiscaux. Le seuil de 50% est important. Contrairement à une légende, la France n’est pas le pays qui taxe le plus, ni en Europe (6°) ni dans le monde. Or l’exil fiscal est souvent le fait de gens qui continue à tirer leurs revenus de la France, mais vivent dans des pays où ils payent beaucoup moins d’impôt.
Une mesure de gauche ?
Si l’amendement a été proposé par les députés LFI-Nupes, il a été voté par la Commission. En 2012, Nicolas Sarkozy, qu’on ne peut pas taxer de « gauchisme », avait dit, en 2012 :
La prise en compte de la Convention Fiscale France-Maroc (et des autres)
Cet impôt ne peut s’appliquer que s’il n’est pas contraire aux conventions fiscales. Or, si on prend l’exemple de la Convention Fiscale signée entre la France et le Maroc :
Les revenus du travail (salaires) ne sont taxables que dans l’état de résidence
Les revenus du patrimoine immobilier sont exempts
Chaque état conserve la liberté de définir ses propres taux d’imposition
C’est là où l’impôt étendu peut se glisser… La France peut décider de calculer un taux comprenant les revenus mondiaux.
Que font les autres pays dans le monde ?
Etats-Unis : impôt universel, Fatca et « taxe de départ »
Le principe est qu’un Américain devra déclarer la totalité de ses revenus aux Etats-Unis et payer des impôts dessus, même s’il n’est pas non-résident. Il y a quelques aménagements, notamment pour éviter la double imposition, mais ils sont très stricts. C’est ainsi que de nombreux étrangers nés aux Etats-Unis mais ne se considérant pas comme nationaux ont découvert qu’ils avaient une dette vis-à-vis du Trésor américain.
Lest Etats-Unis imposent d’ailleurs aux banques opérant sur leur territoire de leur transmettre les informations fiscales correspondantes, c’est le Fatca (qui fait que les expatriés américains au Maroc ont souvent des difficultés à ouvrir un compte bancaire, un certain nombre de banques ne voulant pas prendre en charge ces formalités).
« Pire » encore, puisqu’il reste juridiquement assez facile de renoncer à sa nationalité américaine, dans ce cas il faut payer « taxe de départ », calculée sur le montant de la plus-value fictive correspondant à la vente de ses actifs mondiaux au prix du marché la veille de l’abandon de la nationalité. Cette plus-value est imposable immédiatement si elle dépasse 600 000 dollars. Pour tous, l’abandon de la nationalité n’est possible que si on est en règle fiscalement.
Mexique
Un Mexicain demeure résident fiscal mexicain pendant trois années si son nouveau domicile est situé dans un État disposant d’un régime préférentiel d’imposition, sauf si la convention fiscale comporte une clause d’échange d’informations sans restriction. Un régime préférentiel est alors défini par un taux effectif d’imposition inférieur à plus de 75 % du taux d’imposition correspondant au Mexique (le dispositif s’applique également aux sociétés).
Allemagne : imposition « étendue »
L’Allemagne soumet à l’impôt allemand ses expatriés fiscaux, pendant dix ans si l’ensemble de ces critères sont remplis :
- ils ont résidé en Allemagne pendant au moins cinq ans dans les dix années qui ont précédé leur expatriation ;
- ils perçoivent des revenus annuels de source allemande supérieurs à 16 500 € ;
- ils ont « d’importants intérêts économiques » en Allemagne ;
- ils se sont installés dans un pays « à faible imposition » (impôt inférieur au tiers de l’impôt allemand équivalent).
Italie, Espagne et Portugal
L’Espagne a introduit en 1999 une mesure dite de « quarantaine fiscale », aux termes de laquelle les Espagnols qui choisissent comme lieu de résidence un paradis fiscal restent imposables en Espagne sur leurs revenus mondiaux pendant cinq ans. Le Portugal a adopté une disposition similaire en 2006.
En Italie, depuis 1999, l’administration fiscale présume que les citoyens italiens qui ont transféré leur domicile dans un paradis fiscal l’ont fait pour échapper à l’impôt. Par conséquent, ils continuent à être traités comme résidant dans leur pays d’origine à moins qu’ils ne prouvent que leur nouveau domicile n’est pas fictif.
Royaume-Uni
Si le Royaume-Uni considère que les non-résidents sont imposables dans leur nouvel état de résidence, ce n’est qu’après trois ans de résidence dans ce nouvel état (5 ans échapper à l’impôt sur les plus-values). Entre-temps, les conventions fiscales jouent pour éviter la double imposition. La notion de « non résidence temporaire » justifie l’imposition des plus-values au Royaume-Uni.
Suisse
La Suisse est le seul pays à introduire une distinction entre la « résidence fiscale au titre du rattachement personnel » et au titre du « rattachement économique ». Dans le premier cas, il suffit de :
- séjourner pendant au moins 90 jours par an sans y exercer d’activité lucrative ;
- séjourner pendant au moins 30 jours par an et qui y exercent une activité lucrative.
C’est pour cela que tellement de célébrités (Johnny Halliday, Patrick Drahi…) ont (eu) un chalet en Suisse.
Mais attention : si les revenus imposables sont seulement les revenus d’origine suisse, le taux d’imposition est celui qui serait appliqué si tous les éléments du revenu étaient imposables en Suisse, sans toutefois que les pertes réalisées à l’étranger soient prises en compte. Bien que les taux d’imposition soient assez faibles, si d’énormes revenus mondiaux sont ajoutés à un petit revenu suisse, il sera lourdement taxé.
Finlande
Un Finlandais qui s’expatrie est considéré comme résident fiscal finlandais pendant trois ans, sauf s’il peut prouver qu’il n’a plus de liens significatifs avec la Finlande (maison, foyer, etc). Cela quel que soit le pays de destination.
Suède
Un résident suédois (donc cela s’applique aussi aux gens qui n’ont pas la nationalité suédoise) qui quitte le territoire et s’installe à l’étranger pour une courte période sera normalement toujours considéré comme un résident fiscal suédois par l’administration fiscale suédoise. Si le départ est permanent, il se peut que l’administration fiscale considère toutefois la personne comme étant toujours résidente fiscale suédoise. Ainsi, durant les cinq années suivant le jour de son départ, une personne est automatiquement considérée comme étant toujours résidente fiscale suédoise dès lors qu’elle entretient des liens étroits avec la Suède.
Juste ou pas juste ?
La justice fiscale n’est pas une vérité absolue. Elle est changeante et s’évalue en fonction de ses opinions politiques et de son porte-monnaie. Avec pour chacun, bien souvent, le prisme de « si je paye plus d’impôts, c’est injuste« . Cet amendement a été voté alors que la ré-instauration de l’impôt sur la fortune a été rejetée. Il faut bien reconnaître qu’il s’agit d’une mesure plus politique qu’autre chose et que, si elle était mise en place, elle rapporterait sans doute relativement peu de recettes en comparaison avec d’autres impôts. Mais son effet psychologique est important, alors que les Français ont l’impression qu’on leur en demande de plus en plus en leur en donnant de moins en moins pour leur argent.
En tant qu’expatriée, je suis consciente de tout ce que je dois à mon pays. Encore ici au Maroc. En tant qu’expatriée, je suis aussi consciente de la baisse de la qualité des services qui nous est fournie, liée à la réduction des budgets. Je n’ai jamais choisi une expatriation pour des raisons fiscales. Je l’aurais peut-être fait si j’étais milliardaire.
Beaucoup des gens que j’ai vu s’indigner sur les réseaux sociaux sont des « digital nomades » qui nous vantaient le bonheur de leur résidence à l’étranger, du peu d’impôts qu’ils payaient et, pour certains, de leur capacité à échapper aux lois françaises (entre autres les influenceurs à Dubaï). C’est un choix de vie personnel, mais il ne faut pas oublier non plus que, même résidents à l’étranger, nous bénéficions de services français :
- nous avons des députés et des sénateurs pour nous représenter, qui coûtent le même prix que les autres ; ce n’est pas le cas de tous les pays ;
- nos consulats assurent des missions administratives, nous permettent par exemple de renouveler nos passeports sans être obligés de retourner en France, de gérer notre état-civil, de nous marier entre Français résidents ;
- nos consulats peuvent nous donner des aides d’urgences, ou des bourses pour les frais de scolarité dans les « écoles françaises » ;
- nous bénéficions, en cas de crise grave, de la protection et de la possibilité d’évacuation ; jusqu’à maintenant, les pays où les Français ont pu en avoir besoin ne sont pas des paradis fiscaux, certes, mais qui sait ? Et puis cette protection existe aussi en cas de catastrophe naturelle ;
- bien que nos ambassades ne se mêlent pas de la justice de nos pays de résidence, elles interviennent en « off » dans des cas manifestement abusifs ;
- en cas de retour en France, nous bénéficions à nouveau de tous nos avantages ; si nos enfants veulent faire leurs études en France – ce qui reste assez souvent le cas – ils accèdent à l’université au même prix qu’un résident français ;
- et globalement, nous bénéficions, égoïstement, d’être les résidents d’un pays avec un « passeport fort », capables d’aller à peu près où ils veulent dans le monde ;
- enfin, notre pays est le seul où nous seront toujours accueillis, quoi qu’il arrive (ainsi que les Britanniques installés en France en ont fait l’amère expérience après le Brexit).
Globalement, même s’ils concerne aussi des « petits expats », cet amendement vise les grosses expatriations fiscales. Je vous invite à lire les déboires de Patrick Drahi, qui collectionne cinq nationalités et qui a même réussi à se mettre le fisc suisse à dos.
Selon le rapport de la commission d’enquête de 2019, la majorité des Français de l’étranger identifiés (c’est à dire enregistrés dans un consulat) sont dans des pays qui ne sont pas des paradis fiscaux (à l’exception, très relative de la Suisse, qui l’est pour les très riches, pas pour les frontaliers).
Néanmoins, il y a aussi des expatriés fiscaux, ceux qui ont une entreprise en France mais vivent dans un pays étranger où les dividendes ne sont pas – ou très faiblement taxés. C’est le jackpot pour eux, car ils peuvent continuer à travailler avec leurs clients français, ne sont soumis à aucun contrôle des changes, n’ont pas de problèmes de paiements internationaux, peuvent « importer » leurs prestations de service avec facilité, ne se payent pas de salaire et ne payent que peu très peu de taxes sur leurs dividendes. Je sais d’expérience qu’avoir une entreprise marocaine peut poser des difficultés pratiques importantes.
Quelle mise en oeuvre, en pratique ?
Si par hasard cet amendement entrait dans le code des impôts, sa mise en oeuvre serait assez difficile. La définition des seuils de 50% doit-elle s’évaluer impôt par impôt, ou sur l’imposition totale, par exemple ?
Les exilés fiscaux qui ont une entreprise en France
Là, cela reste relativement simple, via un mécanisme de retenue à la source sur les dividendes. Il serait possible relativement simplement de l’augmenter pour atteindre le niveau d’impôt souhaité.
Les revenus « non français »
Pour ces autres revenus, en pratique, l’état français n’a pas les moyens de forcer ses expatriés fiscaux récalcitrants à payer. Mais il peut pratiquer la même chose que les Etats-Unis, qui imposent le règlement de la dette fiscale quand on remet les pieds sur le territoire. Ce qui empêche les « Américains par accident » qui n’ont pas rempli leurs obligations d’aller aux Etats-Unis, puisqu’ils sont sous la menace d’un emprisonnement.
Ce qui existe déjà aujourd’hui
Les retenues à la source sur les revenus versés à l’étranger sont déjà fortement majorées, 75% au lieu du taux normal (entre 12 et 30%) quand ils sont versés dans un « paradis fiscal » (la fameuse liste grise, à laquelle le Maroc a cherché à échapper à tout prix).
Un amendement « brutal et sans nuances »
Il est dommage que cet amendement ne prenne pas en compte les difficultés évoquées dans le rapport de la Commission des Finances ni les mécanismes recommandés. Il y avait plus de nuances, ce qui rendait l’application plus facile et moins contestable.
Un autre amendement, passé sous silence : le rétablissement de l’exit tax
La France avait mis en place une « exit tax », pour éviter que les contribuables s’exilant fiscalement puisse vendre leurs actions en bénéficiant de la fiscalité de leur pays d’accueil.
Un principe similaire à celui de la taxe de départ des Etats-Unis, mais plus soft. Instaurée par Nicolas Sarkozy en 2011, l’exit-tax française taxait les plus values sur les actions vendues dans les 15 ans suivant le départ du contribuable. Cela visait manifestement les bonus sur salaires en action, les golden packages… En 2018, Emmanuel Macron réduit le délai à deux ans « ce qui revenait purement et simplement à supprimer la taxe ». Ce sont donc des députés LR qui ont proposé – et fait adopter en commissions le rétablissement des 15 ans de délai.
En conclusion, attention à l’hyper optimisation fiscale
Personnellement, je pense que partir uniquement pour des raisons fiscales est une mauvaise décision. Une expatriation est un choix de vie, la taxation est un élément de ce choix de vie, une ligne en plus (ou en moins) dans notre compte de résultat prévisionnel.
Les paradis fiscaux le sont beaucoup plus pour les très riches que pour les personnes « lambda ». La plupart de ces destinations sont des pays où le niveau de vie est beaucoup plus bas. Tant que l’expatrié a de l’argent, tout va bien et il profite d’une vie nettement plus luxueuse que dans son pays d’origine. Mais si un caillou vient gripper la machine, les choses peuvent devenir beaucoup plus complexes. Il est difficile d’être pauvre dans un pays pauvre.
Certains pays, comme la Thaïlande, rendent les choses difficiles pour les farangs, par exemple. Dans beaucoup de ces destinations, les visas longue durée, les permis de travail peuvent être compliqués à obtenir, avec des conditions qui se durcissent du jour au lendemain.
D’autres ne permettent pas du tout d’acheter un bien immobilier ou limitent cette possibilité à des appartements (au Maroc, on peut acheter un terrain à vocation non agricole). Mon travail d’assistance à l'installation au Maroc me permet de rencontrer des gens qui changent de pays et viennent ici pour des raisons plus importantes que la fiscalité : sécurité, stabilité, proximité avec l’Europe.
C’est finalement comme une entreprise : on ne monte pas un business sur un avantage fiscal.
Et cette semaine, je vous parle du Plan de Loi de Finances 2025 au Maroc !
Dans la section « en savoir plus », j’ai ajouté une vidéo intéressante qui montre ce que la France fait pour les Français de l’Étranger : le rapatriement pour indigence, quand rien ne va plus dans le pays d’émigration.
Le point de vue des Français de l’intérieur
Un reportage de TF1 sur les retraités français au Maroc, mettant en avant les avantages fiscaux dont ils bénéficient suscite des réactions contrastées, comme on peut le voir sur ce fil X (ex-Twitter).
Quand on montre concrètement les avantages dont bénéficient les Français qui échappent à l’impôt en France, pour un « paradis fiscal » (car oui, pour les retraités étrangers, le Maroc est un paradis fiscal), brusquement, les Français proposent un impôt « sur la nationalité » (dont un certain nombre croient, faussement, qu’il est appliqué pour les retraités et qu’un retraité français paye ses impôts en France).
N’ayant pas vu le reportage, je ne sais pas si ce qui est dit dans les réseaux sociaux est vrai (j’en doute un peu), mais je vais chercher à le visionner et je vous ferai un retour.
En savoir plus
- L'imposition des revenus des expatriés dans le pays d'origine - Sénat
- Rapport d'information relatif à l'impôt universel - 15e législature - Assemblée nationale
- Fuir son pays ou devenir SDF : la règle du sauve-qui-peut
- Une vidéo qui montre ce que font les consulats pour les Français qui sont partis faire fortune en Argentine, et cherchent à revenir ruinés.
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