Comment faut-il s’habiller au Maroc ? C’est une question régulіèrеmеnt posée sur les forums de voyage, souvent par des gens un peu angoissés d’aller dans un pays musulman et se demandant s’ils doivent se couvrir de la tête aux pieds. Mais aussi une question qui se pose quand on vit sur place, peut-on se permettre toutes les fantaisies de la mode, faut-il conserver une certaine « modestie » comme on dit en Islam ? Bien sûr, c’est une question qui se pose surtout aux femmes…
C’est une question à laquelle il n’y a pas de réponse unique et facile, en mode d’emploi. Car cela dépend de l’endroit, cela dépend aussi de vous et de votre capacité à résister / supporter les regards lourds et plus, si vous êtes habillée d’une façon qui les attire. Enfin, si les codes vestimentaires sembleraient, logiquement, plus souple pour les étrangers que pour les mаrосаіn•e•s, ce n’est pas toujours le cas.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, cet article n’a qu’un objectif : donner des conseils pratiques, basés sur plus de quinze ans de vie au Maroc, à travailler dans le tourisme ou ailleurs, en vivant dans des petites ou grandes villes. Il ne décrit pas « ce qui devrait être », mais ce qui est, sans aucun militantisme pour ou contre.
Le cadre religieux, le cadre légal et le cadre culturel
Ce que dit l’Islam : s’habiller avec pudeur et modestie
C’est la seule obligation qui soient explicitée en toutes lettres, et elle s’impose aux femmes comme aux hommes. Le port du voile, qui fait l’objet d’un très large consensus, reste contesté par quelques musulmans, qui mettent la fameuse sourate 33-59 qui dit :
O Prophète ! Dis à tes épouses, et à tes filles, et aux femmes des croyants de ramener sur elles leurs grands voiles ; elles en seront plus vite reconnues et exemptes de peine.
est en effet, pour certains à prendre dans un contexte particulier (se ԁіfférеnсіеr des femmes non musulmanes), ou ne précise pas exactement ce qui doit être couvert. (Ces arguments sont aussi repris par les non-musulmans opposés au port du voile). Mais pour une écrasante majorité de musulmans, elle enjoint clairement les femmes de se voiler, de couvrir ce qu’on appelle leur awra ( عورة ), c’est à dire les parties intimes de leur corps.
Là où le consensus est moins large, c’est pour la définition de cette awra, qui va, selon les circonstances, du nombril au genou (donc pas de nudité dans le hammam), jusqu’à couvrir tout le corps à l’exception du visage, des mains et éventuellement des pieds ou, pour les interprétations les plus extrêmes, se couvrir entièrement. Pour l’homme, par contre, c’est plus simple, c’est, dans tous les cas, du nombril au genou.

Le port du voile est une décision individuelle, et on voit souvent dans ma rue marcher la main dans la main un groupe d’amies dont certaines sont voilées, tandis que d’autres sont tête-nue.
Le cadre légal : l’attentat à la pudeur
Le Maroc n’іmроѕе pas le port du voile, ni le port d’une tenue spécifique (dans certains pays, les femmes qui ne portent pas le pantalon large et couvrant, ou à l’inverse, un pantalon au lieu d’une jupe longue peuvent recevoir une amende). Il n’y avait aucune obligation dans les textes et au contraire dans l’armée, le port du voile n’est pas autorisé au regard de l’égalité entre les sexes.
Le code pénal punit l’attentat à la pudeur, sans le définir avec beaucoup de précision :
Quiconque, par son état de nudité ѵоlоntаіrе ou par l’obscénité de ses gestes ou de ses actes, commet un outrage public à la pudeur est puni de l’emprisonnement d’un mois à deux ans et d’une amende de 200 à 500 dirhams. L’outrage est considéré comme public dès que le fait qui le constitue a été commis en présence d’un ou plusieurs témoins involontaires ou mineurs de dix-huit ans, ou dans un lieu accessible aux regards du public.
En pratique, se promener les seins nus est un attentat à la pudeur. Pas se promener avec une jupe trop courte (mais ça peut attirer des ennuis).
Le cadre culturel : cachez cette peau…

Là, c’est beaucoup plus compliqué. On cite souvent Mohammed V, qui a demandé à ses fіllеѕ d’ôter leur voile en public, comme symbole de la libération de la femme, comme on les voit sur la fameuse photographie de la famille royale marocaine en exil. Mais la « pudeur » reste essentielle. Pour résumer grossièrement (et avancer sur le côté « conseil pratique »), il y a deux groupes :
- les femmes voilées, qui peuvent être élégantes et à la mode, mais qui porteront rarement des vêtements collants,
- les femmes non voilées, qui peuvent être habillées de façon très sexy, mais en couvrant toujours la peau : le jean troué sur les leggins, même avec le camel toe, ça va, le jean troué sur la peau, ça ne va pas, le Tshirt bien décolleté oui, mais pas les épaules nues, etc.
Maintenant, qu’est-ce que cela veut dire pour vous, étrangère au Maroc, de passage ou résidente ?
Se couvrir décemment
Dans les grandes villes et les zones touristiques, vous pouvez vous habiller assez librement, dos nus, shorts ou jupes courtes sont acceptés… mais attirent les regards et les commentaires lourds et appuyés, voire, quand l’occasion se présente, les gestes désagréables.
Dans le reste du pays, aussitôt sortis de la plage ou de l’enceinte du club, une certaine décence est de mise. Donc (cf. au dessus) pas de shorts, mais au moins des bermudas, pas de jupes trop courtes, et avoir des chemises ou des T-shirts au moins à manches courtes.

Plus vous vous enfoncez dans le Maroc rural, plus vous devrez vous соuѵrіr, dans l’Atlas ou dans le grand Sud le pantalon devient indispensable, et les manches longues sont appréciées, quand vous traversez un village.
A noter que pour beaucoup de marocains, nos T-shirts blancs sont assimilés à des sous-vêtements, préférez les chemises ou des T-shirts de couleur.
Vous remarquerez aussi que, au bled, les marocains sont vêtus aussi pudiquement que les femmes, et, comme elles, ont souvent la tête couverte.
Des marocaines s’habillent très légèrement
Oui, c’est vrai.
- ce sont des marocaines, elles maitrisent mieux que vous ce qui peut se faire ou pas
- ou bien ce sont des MRE qui, comme vous, n’ont pas cette maîtrise et à qui il peut arriver de sérieux problèmes
- ou ce sont des professionnelles
Et elles sont en groupe dans la rue, dans ce cas.
J’ai des аmіеѕ marocaines qui vont en boîte ou en soirée avec un sac, pour se changer une fois à l’intérieur. Elles se transforment en véritables bombes, et se rhabillent « modestement » pour ressortir. Toujours cette séparation entre le privé et le public.
Se faire interpeller au Maroc n’a pas la même signification qu’en Europe. On n’interpelle pas une « fille bien ». Les interjections qui vous sont lancées ne sont pas un hommage !
En voyage, s’habiller pour le chaud et le moins chaud
Les soirées et les nuits pouvant être froides, vous apprécierez d’avoir apporté une bonne paire de chaussettes et un bon pull, voire en hiver une polaire en plus. Et peut être achèterez-vous une djellaba en laine, ou un de ces manteaux courts tissés en laine qui vous protégeront des rigueurs du froid. Pour vos circuits d’hiver, ou pour vos trеккіngѕ en montagne, en toute saison, prévoyez le système « pelure d »oignon », avec plusieurs épaisseurs facilement superposables, un Tshirt, un pull léger et une bonne polaire.Au Maroc comme ailleurs, on ne part pas en montagne sans prévoir un vêtement chaud.
Dans le sud, le chèche est l’аmі du voyageur, il rafraichit quand il fait chaud, réchauffe quand il fait froid, et en tout temps protège du vent et de la poussière. Il existe plusieurs façons de le nouer, toutes laissent devant le visage un grand pan que l’on peut ramener devant sa bouche. Dans le Sud vous le trouverez partout, pour des prix allant de 20 à 50 dirhams.

Quand vous l’achetez, vérifiez qu’il ne déteint pas, c’est une question de tissu plus que de couleur. Si on vous dit qu’il déteint, laissez le tremper une ou deux heures dans le vinaigre, puis rincer-le, la couleur est fixée. Dans le doute, ou l’impossibilité de faire ce trempage, rabattez-vous sur du blanc… la teinture du chèche est tenace, et refuse obstinément de quitter les vêtements qu’elle a colonisés. Mais rien de plus agréable par une grosse chaleur que de mouiller son chèche d’une eau fraiche et de marcher dans cette humidité bienfaisante.
Le chèche permet aussi aux femmes de se couvrir rapidement les épaules si elles en ressentent le besoin, ou pour visiter la mosquée Hassan II.

A la ville, s’habiller soigné
Au Maroc, l’apparence compte. Les Marocaines sont fanas de soins de beauté, de spas, de coiffure, et s’habillent bien. Même si leur goût n’est pas toujours le mien, en général, elles se « sapent ». Pour les hommes c’est pareil. On peut porter un jean troué parce qu’à la mode, mais avec des chaussures bien cirées, etc. Bref, le style cool doit rester soigné, on se fait très vite regarder de haut si on se laisse aller. L’uniforme du geek couch potatoes ne prend pas … et il est remplacé par la djellaba ou la gandoura.
S’habiller à la marocaine
Quand j’ai écrit cet article, en 2009, la problématique de l’appropriation culturelle n’avait pas encore franchi l’Atlantique. Mais aujourd’hui, en tout cas dans le monde anglo-saxon, la question se pose. Parfois.
Quand vous êtes invitée dans une fаmіllе marocaine, les femmes sont ravies de vous habiller à la marocaine, surtout si c’est à l’occasion d’une fête. C’est comme en famille, on se prête des vêtements, des takchitas, des foulards ou des coiffes. Et il faut bien reconnaitre que les caftans de fête sont une véritable splendeur. Ce vêtement existe pour les hommes et les femmes, avec des différences dans la coupe, les accessoires et, bien sûr les tissus.
Mais il n’y a pas que les caftans de fête. La djellaba est une robe d’intérieur bien pratique (similaire à ce qu’on appelait une robe d’hôtesse, ou à une chemise de nuit pour une matinée de paresse, ou à une tenue de plage…). Légère l’été, en laine l’hiver, elle est confortable et j’ai souvent porté ma djellaba d’hiver dans les rues de Marrakech ou de Ouarzazate. Confortable, mais pas très pratique, sans poches, j’étais un peu ridicule avec mon sac à dos.
A Ouarzazate, je passais sans problème dans la rue en vêtements marocains. A Marrakech un peu moins. A Casablanca, je me fais remarquer, accoster, etc. Donc cela dépend du contexte.Pour les hommes, l’été, la djellaba est passe-partout, dans tous les endroits.
Alors, appropriation culturelle ou pas ?
J’ai vu des discussions étranges sur Facebook, ou des Américaines d’origine maghrébine expliquaient que les Marocain•e•s ne se rendaient même pas compte qu’il•elle•s se faisaient exploiter (un peu les mêmes qui m’insultent quand j’emploie le mot berbère).
Je pars du рrіnсіре, sans doute naïf, que ce qui est proposé spontanément par les Marocain•e•s et qui leur fait plaisir n’est pas mauvais. Cela rentre dans la tradition d’hospitalité et de partage, dans cette tendance à vous assimiler quand on vous dit « Tu vis au Maroc, tu es Marocain•e maintenant » et dans la fierté de leurs traditions, qui fait qu’ils apprécient de les voir adoptées. De « notre » côté, je crois que personne n’imagine être soudainement marocain•e en portant une djellaba ou en se faisant tatouer au henné.
Par contre, dans certains contextes, ça ne passe pas. Porter des vêtements marocains traditionnels quand tous les Marocains autour de vous sont habillés à l’occidentale, ça fait idiot.
Pour résumer comment je conseille de s’habiller au Maroc :
- Pas trop découvert, ni pour les filles ni pour les garçons, sauf dans les endroits réellement balnéaires (clubs, bordures de plage, mais pas dans l’intérieur des villes)
- Pratique et confortable pour voyager, en n’оuЬlіаnt pas que dans le désert ou en montagne, il peut faire chaud le jour et froid la nuit (ou froid le jour et très froid la nuit) : multi-couches, pantalons à zip, toujours une paire de bonnes chaussures de marche, un chèche l’été
- Dans le travail, vêtements à l’occidentale (toujours pas trop découverts) et bien soignés
- Dans les réceptions marocaines, vêtements traditionnels, surtout pour les femmes : c’est beau et ça fait plaisir
- Et dans le loisir, confort avant tout, vêtements à la marocaine si vous voulez
Pendant Ramadan, faites plus attention que d’habitude à respecter la pudeur.
Cet article a été écrit pour la première fois en 2006, comme un simple récapitulatif de conseils aux voyageurs, sur le site de notre ancienne agence de voyage.
Je l’ai réactualisé et complété avec des conseils qui s’adressent aux gens qui vivent au Maroc, pas seulement aux touristes.
Entre 2006 et maintenant, la tolérance a diminué
Les femmes qui se font harceler à cause de leurs vêtements, les protestations contre les tenues légères, particulièrement à l’époque de Ramadan, se sont faites plus nombreuses, les incidents plus violents. Déjà, en 2015, on en parlait ici.
Comme dans beaucoup d’endroits dans le monde, quand il s’agit de marocaines, MRE ou « locales », la police n’intervient pas volontiers, considérant qu’elles ont bien cherché ce qui leur arrive. Dans certains cas, il a fallu des protestations fortes sur les réseaux sociaux pour que la justice marocaine mette ses principes et ses textes en application. Quand il s’agit d’étrangères, les autorités répriment plus facilement.
En ce qui concerne les vêtements des femmes – car concrètement, on ne parle que de ça – deux groupes différents sont devenus de plus en plus visibles :
- les Marocains qui rejettent le voile islamique et regrettent les temps merveilleux où les femmes étaient libres et vêtues à l’occidentale, avec un mépris violent de toutes ces femmes voilées, autrefois invisibles
- les Marocains qui oublient que le Coran leur recommande de baisser les yeux et veulent forcer les femmes à s’habiller de façon pudique, même les touristes.
Il reste heureusement une large majorité qui s’en fout, du moment que vous n’êtes pas leur fille et que vous ne montrez pas vos seins en public.
Nous allons entrer dans le mois de Ramadan, le premier sans confinement ni couvre-feu depuis le début de la pandémie… en espérant qu’aucun fait divers ne se produira !
En savoir plus
- La pudeur dans la religion Musulmane
- Cet article explique que la pudeur en Islam ne se résume pas au voile.
- Omar Saghi – Le bikini de la paysanne
- Mais le fond de la question est sérieux. Il n’engage pas que des thématiques religieuses. Il est, plus fondamentalement, une affaire de démocratie.[...]rien n’aura changé : il y aura toujours d’une part des vacancières accroupies comme des paysannes, leurs enfants qui jouent en faisant beaucoup de bruit, et les autres, qui soupirent en disant : avant c’était mieux, les plages étaient “plus classe”
- Algérie : une jeune femme agressée pour footing en plein ramadan
- Et ça existe aussi ailleurs...
- Burqa, jupe, djellaba… quel risque de vous faire agresser ?
- Les vêtements traditionnels, couvrants et pudiques, ne protègent pas les femmes tant que ça
- Djellabas et n’gab ou jupes et shorts… que portaient les Marocaines d’autrefois ?
- "Entre tradition et modernité", l'évolution du vêtement féminin au Maroc
- Les autorités d'Agadir enlèvent la pancarte "No Bikinis"
- «Respect, Ramada, no bikinis», ce slogan affiché sur une plage d’Agadir a suscité l’émoi de tous opérateurs. Le ministre du Tourisme condamne, tout en louant la réactivité des autorités, qui ont mis fin aux agissements des auteurs.
- Les filles d'Inzegane portent plainte contre leurs agresseurs
- Agressées et humiliées, les deux jeunes filles ont paradoxalement été poursuivies pour atteinte à la pudeur, en vertu de l'article 483 du Code pénal, en raison des vêtements jugés trop courts qu'elles portaient. >
Une coquille ou une erreur de syntaxe ? Vous pouvez sélectionner le texte et appuyer sur Ctrl+Enter pour nous envoyer un message. Nous vous en remercions ! Si ce billet vous a intéressé, vous pouvez peut-être aussi laisser un commentaire. Nous sommes ravis d'échanger avec vous !
Cette publication est également disponible en : Anglais