Je viens de finir de regarder « Le Maroc a grande vitesse » sur Arte, reportage fait il y a à peu près un an.
Une phrase d’Aboubakr Jamaï, à l’époque le rédacteur en chef du « Journal Hebdomadaire », m’a frappée.
Le Maroc a besoin d’entrepreneurs, l’administration ne peut plus créer des postes pour résorber le chomage ».
En fait, le Maroc regorge d’entrepreneurs, parfois contraints et forcés, obligés de se créer leur propre emploi faute d’arriver à trouver un contrat de travail. La phrase magique au Maroc est « j’ai un projet ». Ca peut recouvrir la simple petite boutique, le service web au coin d’une petite table dans le sous-sol d’un cyber-café, un riad, ou une entreprise de négoce, une coopérative (l’huile d’argane marche très fort en ce moment), une école, une entreprise de BTP ou de transport, ou un service aux entreprises étrangères dans le cadre de l’off-shoring.
Le Maroc regorge d’entrepreneurs, mais n’a pas assez d’entreprises
En réalité, la plupart de ces projets vont rester des micros-projets, des TPE (toutes petites entreprises) qui ne fournissent pas d’emplois salariés stables et officiels, et qui nourissent uniquement la famille de l’entrepreneur. (Ce qui est déjà plutôt bien).
La structure des entreprises au Maroc recoupe finalement assez bien la répartition des revenus : des très riches, ou des très grosses entreprises, des pauvres, ou des TPE, et une classe moyenne très peu nombreuse. C’est celle-ci, ce sont les vraies PME qui portent le développement d’un pays, et effectivement, elles manquent au Maroc.
Comme partout, les entreprises nouvellement créées ont un très fort taux de mortalité dans les 5 premières années. Par rapport à d’autres pays, je pense que c’est accentué par la pratique, dans les petites villes, de « laisser faire » pendant quelques temps avant d’officialiser les choses, pour voir si cela marche. Et l’entreprise qui survivait en travaillant au noir plonge quand elle doit faire face à la totalité de ses obligations.
Ce fort taux de mortalité est encore plus élevé pour les entreprises créées par les investisseurs étrangers, qui se lancent avant d’avoir compris le fonctionnement au Maroc, et se retirent, amers, un ou deux ans après.
L’effort pour le développement des entreprises est important, exceptionnel même
L’État simplifie les procédures, il a abaissé le capital minimum de la SARL pour permettre une création plus facile, les formalités sont plus simples qu’en France, les centres d’investissements sont des facilitateurs.
L’état tente de faire revenir les MRE, les aide à créer leur entreprise au Maroc, faisant revenir ainsi des capitaux, et un savoir-faire précieux.
Une émission comme Challenger, qui est aussi régulière que l’équivalent marocain de la Star Academy (et produite par la même chaine) n’a pas beaucoup d’équivalent en Europe. Arriver, et depuis des années, à faire passer en prime time un concours où sont sélectionnés de jeunes marocains porteurs de projets d’entreprise, arriver à intéresser un public large à des questions de business plan, de marketing, de comptabilité montre bien à quel point le désir d’entreprendre est profond au Maroc.
J’ai rarement vu un tel effort de formation pour apprendre à un pays comment entreprendre.
Des changements structurels sont encore nécessaires
Malgré cela, il n’est pas facile d’entreprendre au Maroc. Quand on commence à avoir du succès, les coups bas se font légion, et la concurrence est loin d’être loyale. Quelques exemples ont été donnés sur Casawaves, nous en avons tous en tête. Ils sont rendus possibles par la corruption, et tant qu’elle ne sera pas éradiquée, il sera toujours possible d’être traîné au tribunal sur la base d’un faux témoignage, ou à l’inverse, de pouvoir exercer une activité en se libérant de certaines contraintes légales, qui pèsent sur vos concurrents.
Le crédit officiel est cher, et les délais de paiement sont extrêmement longs. Comme partout dans le monde l’administration paye mal, mais toutes les entreprises aussi. Je passe trois fois plus de temps à encaisser au Maroc qu’en Europe. Et comme tout le monde, j’ai inclus cela dans mes prix. Je pourrais être meilleur marché si j’avais la certitude de pouvoir être payée rapidement.
Le poids des grandes entreprises, du conglomérat de l’ONA fausse aussi la vie économique. Comme le disait Jamaï « on ne fait pas concurrence au roi ». On retrouve là une des caractéristiques de la vie marocaine, l’omniprésence royale, qui vide de leur pouvoir les autres structures (parlement, gouvernement, etc…), le roi fait tout, et sa volonté s’impose naturellement, même par simple habitude.
La puissance tentaculaire de l’ONA est un frein à la création de PME diversifiées. Si on veut créer une entreprise au Maroc, il faut soit être dans le sérail, soit trouver un secteur où on ne concurrence pas les puissants.
Le Maroc a des entrepreneurs, il a peu d’employés
C’est sans doute ce qui m’a le plus frappée quand j’ai commencé à travailler au Maroc, la difficulté de trouver de bons collaborateurs.
Peut être à cause de cette profusion de micros-entreprises, et parce que les grandes entreprises sont en général assez semblables à l’administration, une fois qu’on y est entré, il est difficile de trouver des gens qui vont travailler pour vous sur la durée.
Les compétences sont là (et la meilleure preuve en est que les Marocains s’exportent bien dans certains domaines), mais pas l’attitude. Il me semble que la petite entreprise n’est pas vue comme un moyen de promotion sociale, comme un poste qui va permettre de faire une carrière, mais comme un gagne-pain.
Le manque de loyauté est souvent réciproque, le patron payant mal ses employés, ne respectant pas les lois sociales, les licenciant au bout des 6 mois de période d’essai pour ne pas être « coincé », et eux à l’inverse, partant du jour au lendemain sur un coup de tête parce qu’ils ont trouvé mieux ailleurs, ou même dans certains cas, si cet ailleurs est le concurrent direct, participant d’abord à couler l’entreprise. Et à la différence de l’Europe, la menace des tribunaux sur ce genre de choses, ou même de la mauvaise réputation à faire à un employé est totalement inefficace.
Le corollaire de ce manque de loyauté est le manque de confiance, et l’absence de délégation. Et derrière absence de délégation, il y a absence d’initiative. C’est flagrant par exemple pour les secrétaires, qui au Maroc ne sont que des dactylos porteuses de café ou de thé, alors qu’elles pourraient avoir beaucoup plus d’initiatives et de responsabilités.
Bien sûr, c’est un cas classique de poule et d’oeuf, s’il y avait plus de bons patrons, il serait plus facile de trouver des bons employés, mais il est difficile – voir dangereux dans certains secteurs – d’être « a priori » un bon patron. On en reste donc dans un système de connaissances personnelles, de cercle de confiance et de recommandations qui en lui même est un frein à la fluidité de l’emploi. On peut parfaitement trouver de bons collaborateurs au Maroc, mais cela prend beaucoup de temps.
Développement d’entreprise et formation continue
S’il y a un domaine où il reste énormément à faire, c’est celui-ci. La formation continue est essentielle, surtout dans les métiers technologiques où le Maroc essaye de se positionner. En l’absence de structure étatique, et vu le coût des études privées au Maroc, elle reste l’apanage des grandes entreprises.
Pour développer de façon durable un important réseau de PME, il faut leur donner la possibilité de former patrons et employés, régulièrement.
Aider les entreprises dans ce domaine permet aussi de développer l’emploi de personnes moins qualifiées, en leur donnant la possibilité d’évoluer et de continuer à repondre aux besoins de l’entreprise… et donc de s’y attacher, et de s’y investir. C’est ainsi qu’on ferme la boucle.
PS : Aboubakr Jamaï a été lourdement condamné en 2006, à payer 50.000 dirhams à titre personnel, tandis que ‘Le Journal Hebdomadaire » devait payer 3 millions de dirhams à un centre de recherche européen basé à Bruxelles. Il a quitté son poste, et le site internet du Journal Hebdo est aujourd’hui vide de contenu. Larbi en parle ce soir, suite à la même émission…
Une coquille ou une erreur de syntaxe ? Vous pouvez sélectionner le texte et appuyer sur Ctrl+Enter pour nous envoyer un message. Nous vous en remercions ! Si ce billet vous a intéressé, vous pouvez peut-être aussi laisser un commentaire. Nous sommes ravis d'échanger avec vous !
18 commentaires
Bonjour,
un filon dans lequel je trouve bizarre que peu de gens ne se soient engouffrés:
L’assistance aux retraités européens, en multiservice (très élargi)!
Quand on voit le nombre de retraités qui galèrent, après les belles promesses, pour faire réparer une malfaçon, installer une étagère correctement, faire une carte grise, un branchement téléphonique, un transfert à la RAD, obtenir ou renouveler une carte de résident, and so on, on peut penser qu’il y a un boulevard, surtout pour un marocain qui connait les ficelles.
J’ai oublié une catégorie , susceptible de rentrer dans le champ d’action de ce « multiservice »,
Tous les acheteurs de biens immobiliers au Maroc, (dont des retraités).
Quand on voit tous ceux qui sont paumés à Marrakech, qui ne savent trouver un plombier, qui n’ont pas 15 jours à perdre pour faire brancher le téléphone et internet, qui ne savent pas ou faire flasher un décodeur !
Peut etre moins visible à Casa !
> L’assistance aux retraités européens, en multiservice (très élargi)!
Attention cependant :
les retraités (français) ne sont pas en si grand nombre et surtout il sont plutôt « économes », c’est à dire par toujours prêts à payer le service …
bonjour à tous , il s’agit d’une option qu’on vient de publier ds notre école
il s’agit de la création d »entreprise.
j’aurai besoin de savoir ce qui manque le plus au maroc, histoire de bien choisir un pojet.
merci d’avance
2 secteurs qui me semblent très prometteurs :
– la formation professionnelle.
– le tourisme.
et je rajouterai nombres de services et produits a vendre à la classe moyenne.
l’infrastructure informatique : un véritable hébergeur internet de qualité ferait un tabac
la fabrication de meubles milieux de gamme
par exemple…
A propos de financement, j’ai besoin d’un conseil : à votre avis, comment fait-on pour obtenir des données « objectives » sur le marché industriel marocain ? Je ne trouve quasiment rien d’officiel qui pourrait qui pourrait étayer les hypothèses que je bâtis sur la base de ma propre expérience pour rassurer un banquier. Où se renseigner sans que cela coûte encore plusieurs dizaines de milliers d’euros ? J’avais l’habitude de cet exercice en France mais on a une mine d’information et de statistiques sur les données économiques là-bas alors qu’ici walou.
@David
> comment fait-on pour obtenir des données “objectives” sur
> le marché industriel marocain
Très difficile. Je ne sais que vous conseiller si ce n’est vous rendre sur place et vous faire vous même votre propre opinion. En l’absence de chiffres fiables il vous faudra certainement vous fier à votre intuition.
Lorsque j’ai lancé mon agence immobilière, j’avoue avoir eut du mal a évaluer le marché. Je n’avais rédigé qu’un vague business plan … qui s’est révélé tout a fait faux. Ce n’est qu’en étant sur le terrain (et dans l’action) que j’ai pu vraiment comprendre commence cela fonctionnait.
@Marie
La morte saison comme 11 septembre 2001? :D
Tu as bien résumé le problème d’entreprendre au Maroc, il faut dire que le principale obstacle reste le manque de confiance des jeunes entrepreneurs en l’économie marocaine, qui est assez justifiè pour plusieurs raisons que tu as bien citée dans ton article et qui sont assez connues,cependant, il ne faut pas oublier que le Maroc reste un pays assez sous développé mais que le grand contraste existant dans la société marocaine fait croire au contraire, l’état fait de son mieux je suis d’accord avec vous mais cet effort reste insuffisant sans un réel encouragement des étudiants a tenter l’aventure de la création d’entreprises en créant des concours dans chaque université par exemple…
personnellement j’ai trois projets de création d’entreprises que j’ai du mettre en stand-by faute de financement qui le big problème auquel se confronte l’entrepreneur marocain, les banques offrent des quantité trés petites a un taux d’intérêt qui frôle le ridicule…
Oui les taux d’intérêts sont chers au Maroc.
D’ailleurs, je pense que cela pourrait être un truc à développer, le crédit-développement… Cela existe un peu au niveau des aides européennes, le financement de projets dans des pays en développement, mais l’information et l’accès quand on est au Maroc doit être extrêmement difficile.
Avant les problèmes de financement (en France les Banques ne prêtent pas non plus et le capital privé est très frileux) je placerai les problèmes de recouvrement.
Je connais de nombreux petits entrepreneurs marocain, motivé, avec de bons projets qui ont du mettre la clefs sous la porte suite à des défaillances de paiement de la part de clients peu scrupuleux.
Et bien c’est simple Laurent, il faut embaucher des casseurs de pouce :) )
@il faut embaucher des casseurs de pouce :) )
lol … c’est claire qu’avec les triades chinoises y’a pas de problème de recouvrement.
Vous avez de ces idées !!!
Cela dit, c’est clair que ce problème général de solvabilité renchérit le coût du crédit pour les boites qui démarrent, la banque rémunérant son risque.
Dans le secteur touristique, dans le sud, c’est impressionnant, pendant la morte saison tout le monde fait crédit, et au moment de l’arrivée des touristes, les comptes se soldent. Le problème, c’est celui qui n’a pas survécu à la morte saison…
La formation continue :
Toute les entreprises ont accès au financement de la formation continue puisque l’Etat, à travers l’OFPPT, rembourse jusqu’à 70% du côut de chaque formation.
L’ANAPEC, met à la disposition des entreprises, les programmes TAAHIL (compétence) et IDMAJ (integration) pour assuer la formation complémentaire pour améliorer la compétence du personnel.
Manque de loyauté :
Le marché du travail est libre. Un cadre qui trouve un emploi plus interssant a le droit de changer son boulot.
Grands groupes :
Nous avons la chance d’avoir de grands groupes qui emploient des centaines de milliers de marocains et qui tire l’économie nationale.
@Mohamed, ces programmes sont peu accessibles dans les petites villes de province. Pour ce qui est des grandes villes peut être, mais ailleurs, « en réalité et en pratique », pour les PME, cette formation continue est lettre morte. C’est peut être de la faute des patrons, du manque d’infrastructure locale, mais c’est un fait.
Les grands groupes c’est bien, c’est nécessaire. Mais ça ne suffit pas…
Quant à la loyauté, il ne s’agit pas d’interdire à quelqu’un de changer de travail.
Tu parles de cadre… je parle d’employés, cadres ou pas. Trouves tu normal que quelqu’un décide simplement de ne pas se présenter à son poste, de partir sans préavis, et sans se soucier du problème qu’il crée à son employeur ?
Plus grave, trouves tu normal que quelqu’un qui sait qu’il va travailler chez un concurrent commence à faire sciemment mal son travail, par exemple à la réception d’un hôtel, dise qu’il est plein et envoie les clients chez son futur employeur ?
Je me souviens d’une fois où je cherchais à contacter une société pour établir une collaboration. La personne qui m’avait prise au téléphone me rapelle le soir même pour me proposer de faire affaire avec une autre entreprise en cours de création.
Il ne s’agit pas de simplement changer de travail, mais de pratiques qui seraient, dans d’autres pays, condamnées devant les tribunaux.